« Vous en avez marre de nous entendre? Alors écoutez nous! »

Teuf, rave, free-party... Ces grands rassemblements sont une culture encore trop méconnue du grand public et souffrent d'une marginalisation dont ils se passeraient bien. Leur présence dans les rues orléanaises la samedi 13 février a permis à de nombreux passants de découvrir cette culture alternative

  Les amateurs de free party (teuffeurs) aiment habituellement se retrouver loin des villes pour écouter leur musique à fort volume afin de ne pas causer de nuisances sonores. Dérogeant à leur tradition, ils s’étaient donné rendez-vous ce samedi 13 février dans le centre-ville d’Orléans. Ce sont près de 200 personnes qui se sont rassemblées à l’appel de plusieurs collectifs pour protester contre la criminalisation de la fête.

  Des collectifs tels que Techno plus, soutien à la Maskarade ou encore la radio Rinse avaient déjà lancé un appel à manifester dans les rues parisiennes le 16 janvier dernier pour protester contre l’incarcération de l’un des leurs. La précédente mobilisation a t’elle acceléré la libération du jeune homme emprisonné pour avoir organisé la Free Party Maskarade le 31 décembre dernier en Bretagne? Il ne nous est bien sûr pas possible de l’affirmer. Cependant, ils sont nombreu-x-ses à penser que le gouvernement les marginalise et entretient une clandestinité dont ils se passeraient bien en cette période de crise sanitaire qui créé de nombreux troubles psychologiques chez les jeunes.

  Distanciation sociale, couvre feu, isolement… Durant la jeunesse, les rapports sociaux sont primordiaux pour la construction de l’identité des individus. Les mesures sanitaires compliquent particulièrement l’intégration sociale de la jeunesse et sont sources d’angoisse et de dépression. Cette détresse psychologique a d’ailleurs fait l’objet d’un rapport d’enquête de Sandrine Mörch et Marie-George Buffet enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 décembre dernier. « On n’est pas des sauvages », « Vous en avez marre de nous entendre, alors écoutez-nous« … Dans les rangs de la manifestation, certains dénoncent un acharnement de l’état à réprimer la fête en omettant de rendre justice aux victimes de la répression policière envers les participants de ces fêtes. La mort de Steve Maia Caniço à Nantes lors de la fête de la musique en 2019 reste ancrée dans les mémoires comme une profonde injustice.

Un camion, un groupe électrogène, des enceintes et un DJ: Voilà les éléments nécessaires pour lancer une Free-Party

Il y a une volonté de se retrouver, d’être ensemble

   rave, free party, teknival… Depuis plus de trente ans, les rassemblements autour de sound systems ont toujours évolué en marge de la société française. Importées d’Angleterre, d’Allemagne ou encore de Jamaïque, ces grandes fêtes ont plusieurs origines et sont directement liés à l’amplification de la musique électronique (electro). Des caissons d’enceinte, une platine, des Djs, un groupe électrogène et un lieu sans voisinage pour éviter les nuisances sonores. Il n’en faut pas plus pour organiser une Free Party. C’était un véritable Sound System mobile que les organisateurs avaient mis en place pour défiler dans les rues orléanaises. La manifestation aura ainsi permis aux passants de découvrir cet univers musical encore trop méconnu du grand public. Souvent critiqués, ils s’inscrivent pourtant dans une culture alternative de la fête sous fond de musique electro mais pas seulement.

   Tim est animateur de l’émission « Il est chelou ton son » sur Radio Campus Orléans. Joint par téléphone en amont de la manifestation, il explique: « Ce sont des gens qui s’interrogent sur des moments de vivre-ensemble en respectant des règles. Ce sont des gens qui ont des valeurs communes comme l’empathie ou encore la bienveillance. Ce ne sont pas des entrepreneurs de la culture. On promeut la liberté musicale. On est libres, on fait ce qu’on veut et on l’affirme. L’autogestion est trés importante. Dans tous ces rassemblements, il y a une volonté de se retrouver, d’être ensemble « . Ces grandes fêtes populaires ne sont jamais bien perçues par les politiques qui n’y voient que marginalité et anti-conformisme et paradoxalement une associabilité des participants. Il est vrai que ces rassemblements sont liés à l’énergie d’une jeunesse qui fuit le mercantilisme des boîtes de nuit et la fête marchandisée par la société de consommation. Cependant, il est tout à fait possible de faire la fête autrement et les teuffeurs le prouvent. La fête devient alors politique quand ces grands rassemblements flirtent avec le nomadisme. Historiquement, les premiers organisateurs de ces grands rassemblements étaient des hippies ou des forains. Le mouvement côtoie également l’altermondialisme, l’écologie, les Zones à défendre (ZAD) ou encore la piraterie sous toutes ses formes…

un accompagnement plutôt qu’une répression

  La manifestation orléanaise ressemblait à une rave ambulante et éphémère avec des allures de Zone Autonome Temporaire (ZAT). « On fait avec les moyens du bord. C’est le seul moyen de mettre en place de tels évènements » témoigne l’une des organisatrices de la manifestation. Quelques heures auparavant, Tim déclarait au téléphone: « La Zone Autonome Temporaire est une perle d’utopie temporaire. Les nouvelles générations y voient un modèle. » Loin des clichés médiatiques et des préjugés de la société à leur égard, les organisateurs et les participants de ces grands évènements festifs ne sont pas des drogués déconnectés des réalités, bien au contraire. La gestion des risques liés à la consommation des drogues est un problème que les teuffeurs ont pris à bras le corps grâce à des associations telles que Techno+, qui assurent prévention, accompagnement et politique de réduction des risques sur de tels évènements. Ce fut d’ailleurs le cas pour la grande fête du 31 décembre quand en amont du rassemblement Techno plus recommandait un accompagnement plutôt qu’une répression avec le soutien de l’Agence Régionale de Santé. L’association a par ailleurs lancé un grand sondage sur la gestion du covid pendant la fête. Autonomes dans la gestion de leur sécurité, les organisateurs de la manifestation avait mis en place un bon service d’ordre.

La fête n’est pas vraiment terminée.

  Elle se poursuit quotidiennement dans des appartements et des maisons mais sans l’accompagnement des associations citoyennes qui ont un savoir faire pour accompagner celles et ceux qui sont victimes des conséquences de l’usage des drogues et de l’alcool. Les sénateurs eux-même ne sauraient condamner ces regroupements à domicile puisqu’ils ne sont pas illégaux. Si l’on pouvait trouver un aspect positif à cette affreuse pandémie, ce serait le fait qu’elle épargne relativement les plus jeunes qui restent cependant contaminants. Faut-il alors les culpabiliser d’avoir des comportements inhérents à leur génération? Sociabilisation, ouverture aux autres, découverte d’autres cultures… Voilà ce que permet la fête. Ces moments sont nécessaires dans leur construction qui doit faire face aux violences sociétales (chômage, précarité, éco-anxiété, discriminations…). La fatigue pandémique est prise au sérieux par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Comme toujours, les jeunes sont capables d’une plus grande résilience que les adultes. Ils poursuivent leurs efforts mais ne peuvent plus s’octroyer ces moments de réconfort après l’effort.

Retrouvez ci-dessous l’émission avec de nombreux témoignages de participants à la manifestation.

Daniel Beghdad

Trouvé sur La Rédac Pop, le média participatif et citoyen de Radio Campus Orléans