Vibrations jamaïcaines : focus sur une île résonnante des Caraïbes

Rastas, dreadlocks, reggae, Usain Bolt et Bob Marley permettent d’identifier la Jamaïque sur la carte mondiale. Découvrez jusqu’au vendredi 26 mai l’exposition Vibrations jamaïcaines, à la BU Lettres de l’université d’Orléans, à l’occasion des semaines de l’Amérique Latine et des Caraïbes organisées par la Direction des Relations Internationales.

Le 10 mai 2023, la France commémorait l’abolition de l’esclavage. C’est sur les ruines de cette sombre période de nos histoires que sont nées de nouvelles cultures issues de la confluence de la pratique d’arts originaires de l’Europe, de l’Afrique et des Amériques. Les rhizomes de ces cultures ont par exemple donné naissance à cet arbre Caraïbéen nommé Reggae dont les racines puisent dans l’Afrique et dont les branches s’étendent sur le monde entier. Jérémie Kroubo Dagnigni, chercheur spécialiste des musiques populaires jamaïcaines et membre du laboratoire POLEN (Pouvoirs, Lettres, Normes), propose une exposition chargée d’histoire sur la culture jamaïcaine. Sont présentés aux étudiants, une série de 20 portraits photographiques de personnalités jamaïcaines. La collection se compose de clichés qui auront marqué l’auteur lors de ses recherches en Jamaïque en 2005 et 2009. La sélection pose pour la première fois ses bagages dans un lieu universitaire, après avoir fait le tour de nombreuses médiathèques et festivals de reggae en France depuis une dizaine d’années. Les étudiants vont donc pouvoir déambuler en cette fin d’année au travers d’un affichage tout en légèreté et culture musicale.

Jérémie Kroubo Dagnini, présente la photo d’ouverture de l’exposition « Vibrations jamaïcaines » accompagnée de son livre éponyme

Plongée dans l’histoire musicale jamaïcaine

Jérémie Kroubo Dagnini découvre adolescent le reggae grâce à son frère. Il tombe immédiatement admiratif d’un rythme chaloupé accentué par le skank, contretemps généralement joué à la guitare. En Doctorat d’Études anglophones, il entreprend une thèse sur les musiques jamaïcaines pour laquelle il se rend plusieurs mois sur l’île de trois millions d’habitants.

 « Sur le vif, sur le terrain, j’ai pris ces clichés », explique l’auteur de la collection. L’enfilade des grilles d’exposition saisit dès l’arrivée dans la BU de Lettres de l’université d’Orléans. Un portrait du groupe Jolly Boys accueille le visiteur. Ce groupe de mento formé en 1955, composé de quatre musiciens, presque tous décédés aujourd’hui, aurait été une des sources d’inspiration majeure du fameux reggae.

« La musique jamaïcaine ne se limite pas au reggae à Bob ou Ziggy Marley, tous les genres musicaux ont des spécificités particulières dans leurs mélodies », raconte le professeur. Il existe ainsi le rock steady proche du soul américain célèbre pour ces petites formations musicales. Le ska quant à lui puise ses racines des États-Unis. Il apparaît dans les années 60 en même temps que le reggae et oscille entre sonorités proches du jazz et du rock. La flânerie se poursuit ensuite avec le portrait de U Roy, précurseur du hip-hop. Il chante et parle comme les rappeurs sur un rythme reggae. Son art se veut messager d’informations. À cette époque, peu de jamaïcains savaient lire les journaux. L’Alpha Institute, école de musique, recueille des enfants de quartiers pauvres et essaye de les sortir la misère en lançant des carrières artistiques. Les sound-systems vont aussi permettre le développement des musiques jamaïcaines car ils utilisent un matériel sonore simple à transporter.

U roy

Le reggae au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco

« Le propre d’une musique noire, c’est le lieu dans lequel elle évolue », présente Jérémie Kroubo Dagnini. Les musiques jamaïcaines évoluent en s’expatriant en Europe. Dans les années 80, le hip-hop émerge en France. Des groupes comme NTM, IAM ou Assassin vont se nourrir de cette culture. Les valeurs de rébellion ou multiculturalisme vont être empruntées à la musique jamaïcaine. Les jeunes de quartiers défavorisés vont rapidement accaparer ce style musical. Ancien empire colonial et terre d’immigration, la France dispose d’une culture musicale riche. À Montpellier, le 1er mai, la foule nombreuse se faisait entendre avec des musiques reggae. Musique engagée par excellence, il prend une place de choix dans les cortèges festifs revendicatifs actuels.  

Depuis 2018, le reggae est inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. Il apparait avec le mouvement religieux rastafari dans les années 30. Calumet à la bouche et bonnet pour couvrir ses dreadlocks, le chanteur de Black Star Line est l’archétype du rasta jamaïcain. Ainsi, la coupe de cheveux s’oppose au système colonial demandant d’avoir les cheveux courts.

Black Star Line

Le spectateur voyage dans un univers très spirituel. « Je ne connais aucun africain qui ne croit pas en quelque chose », déclare Jérémie Kroubo Dagnigni. Un rapport très charnel avec la nature s’installe. Au Gabon, les hommes utilisent des psychotropes pour s’apaiser. Les rastas considèrent l’ancien empereur Hailé Sélassié d’Éthiopie comme leur dieu. En arrière-plan de cette image, les couleurs des rastas s’inspirent du drapeau éthiopien. Le vert, pour la nature divine terrestre, le jaune pour la richesse spirituelle et matérielle comme l’or présent sur le continent africain puis le rouge pour le sang versé par les Noirs durant la Traite négrière. Cet étendard n’est pas à confondre avec le drapeau de la Jamaïque représentant une croix.

« Get up, stand up » : lève-toi et bats-toi

Le peuple jamaïcain est combattif, il se bat au quotidien avec ses moyens. La chanson « Get up, stand up », de Bob Marley, sorti en 1977, est l’emblème de cet attribut. « Ils sont dotés d’une force mentale qui leur permet de faire des choses phénoménales », s’exprime Jérémie Kroubo Dagnini. Les Jamaïcains sont issus comme la plupart des caraïbéens de l’esclavage. La population est à 90 % d’origine africaine. Les premiers colonisateurs du peuple autochtone amérindien sont les Espagnols en 1494, avec Christophe Colomb puis les Anglais en 1655. Leur but n’était pas d’habiter l’île mais de l’exploiter à des fins économiques. S’organise peu à peu avec le commerce triangulaire, un commerce d’esclaves venus d’Afrique.  De la traite négrière aux années 60, la musique jamaïcaine se fonde sur ses chaînes mentales bouleversées.

L’affichage de Jérémie Kroubo Dagnini émeut lorsqu’il montre Jacky Bernard, compositeur arrangeur, tombé dans l’oubli et la pauvreté dans les années 2000, dans son plus simple apparat. Le photographe rapporte dans le regard du musicien une certaine misère sous fond de bienveillance et chaleur humaine. L’auteur avec ses portraits capte le public et suggère une vision de la Jamaïque entre ondes positives et passé tragique.  

Cebert Jacky Bernard

Infos pratiques :

La bibliothèque Lettres, Langues et Sciences Humaines est ouverte du lundi au vendredi de 8 heures à 20 heures. Par ailleurs, des tables rondes animées par Hassan Kerim de Radio Campus Orléans sont organisées à l’Hôtel Dupanloup dès 17H30 le vendredi 26 mai, dans le cadre de la 10ème édition des Semaines de l’Amérique Latine et des Caraïbes (entrée libre). Une diffusion du documentaire « le souffle du reggae » de Jérémie Cuvillier est également prévue le mardi 6 juin à 18H30 au Bouillon.

N’hésitez pas à écouter sus nos ondes l’émission Ride On le mardi soir de 20H à 22H et Tropical vibrations le samedi de 19H à 21H.

Un petit quiz pour tester vos connaissances : https://www.quizz.biz/quizz-1769905.html

Ci-dessous, une interview qui sera diffusée ultérieurement dans un dossier spécial de la Redac Pop consacré au Reggae sur Orléans.

Interview de Jérémie Cuvillier, réalisateur du film « Le souffle du Reggae », projeté le 6 juin à 18h30 au Bouillon (Orléans-la-Source)

Lucas Santerre

Trouvé sur le Bondy Blog Centre