Semaine d’hommage : Assia Djebar fait revivre les voix asphyxiées.

Organisé par l'ASLA, un puissant hommage a été rendu à Assia Djebar, l'intellectuelle algérienne de l'académie française. Voir descriptif en bas de page (2.)

Assia Djebar, première femme cinéaste algérienne et écrivaine entrée à l’académie française en 2005. Décédée le 6 février 2015, elle a laissé un héritage culturel et historique auquel l’Association Solidaire Loiret Algérie (ASLA) en collaboration avec l’association « Coup de Soleil Auvergne/Rhône-Alpes » a voulu rendre hommage. L’inauguration de cette semaine a commencé mardi 12 mars à la maison des associations d’Orléans. Nous avons pu suivre cette première journée auprès des intervenantes et ainsi découvrir cette femme franco-algérienne assez méconnue.

Je vous propose de faire des allers-retours entre la France et l’Algérie, entre la période coloniale et son héritage, entre les figures résistantes et les voix réticentes, entre l’amour et les violences du déni. Toute la réflexion d’aujourd’hui est inspirée par une nouvelle rencontre avec cette femme qui a refusé d’adopter un passé mystifié.

Ce qu’Assia Djebar essayait de dire à ce pays, de nous dire à nous, c’est que nous devons savoir… il faut que nous soyons conscients. Toutes les nations occidentales se sont empêtrées dans le mensonge de leur prétendu humanisme. Cela signifie que leur histoire n’a aucune justification morale et que l’Occident n’a aucune autorité morale. Ainsi, ils ne peuvent se permettre de comprendre pourquoi les victimes se révoltent.

Assia Djebar a opposé l’histoire des vainqueurs à la sienne. Le constat, c’est un énorme enfumage. Une fumée si épaisse qu’elle a rendu inaudibles les voix des damnés. Une mémoire orale à jamais perdu dans les grottes d’Algérie. Dès lors, la langue, sa langue française est venue sauver ses histoires. Les corps inanimés sont devenus des mots. Par son travail de la mémoire, elle a redonné une voix aux morts ravivant ici des mémoires asphyxiées.

En échangeant avec Esma Gaudin-Azzouz (1.), toutes ces réflexions, cette insistance sur les voix des autres, de celles et ceux qui ont été réduits au silence, m’ont fait penser à Franz Fanon. Imaginez ma surprise lorsqu’elle m’a appris que Fanon et Assia s’était rencontrés entre la Tunisie et l’Algérie. Ecoutez la ci-dessous

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« Assia Djebar est née en Algérie et morte à Paris, et sa vie et son œuvre littéraire sont exactement là, comme pour tenter de faire se rejoindre ces deux rives, comme le reflet de son itinéraire : d’une enfance colonisée à l’Académie française, en passant par la guerre d’Algérie. »

France Culture

Si l’ASLA a voulu lui redonner une place dans notre mémoire collective, c’est aussi parce que dans son travail, la femme est toujours présente. Sous la plume d’Assia Djebar, se dessine une quatrième langue, la langue du corps un corps spécifiquement féminin « que le regard des voisins prétend rendre sourd et aveugle, puisqu’ils ne peuvent plus tout à fait l’incarcérer ».

Ce langage du corps féminin constituerait alors une forme d’oralité qui serait le propre des femmes et que celles-ci feraient entendre dans les espaces de parole.

Cette langue féminine et incarnée agirait ainsi contre un double interdit fixé sur le corps et la parole des femmes et guiderait alors l’écriture d’Assia Djebar, qui chercherait à capter la parole singulièrement féminine. Cette valorisation d’une oralité féminine rejoint la pensée qui s’est développée autour de la question de l’écriture féminine qui faisait du corps et de l’oralité deux éléments essentiels d’une féminité dans l’écriture.

L’oralité qui affecte l’écriture, Assia Djebar vient la dépasser par une autre modalité de parole, la voix. Oralité et voix semblent à première vue équivalentes, car l’une et l’autre mettent en scène le corps à travers la sonorité des mots. Mais si l’oralité est un langage qui suppose d’être partagé par un groupe d’individus, la voix, en revanche, est propre à un sujet singulier. En combinant l’oralité et la voix Assia Djebar fait des allé retour entre l’intime et le collectif.

Je ne sais pas si elle a aimé la France mais une chose reste sûre la France l’a oublié. De la même façon que la France a oublié son passé colonial et les conséquences de l’héritage postcolonial. Faire une place à Assia Djebar dans notre mémoire, c’est tendre vers une justice épistémique.

L’histoire s’écrit constamment, l’histoire résonne car l’histoire s’écrie aussi.

Je vous propose d’écouter l’une de ses proches qui l’a le mieux connue, sa sœur ; Sakina Imalhayene

Proposition de lecture afin de découvrir Assia Djebar : L’amour, la fantasia, Le Livre de Poche

Si vous souhaitez en apprendre plus sur cette auteure et réalisatrice, je vous propose de réécouter la conférence qui a suivi l’exposition. Cette conférence s’est tenue dans les locaux de la médiathèque d’Orléans.

Assia Djebar 12.03 Conférence
Assia Djebar 12.03 Questions du public

  1. Sur la photo : Dans l’ordre de gauche à droite : Mireille Calle-Gruber, professeure à l’université Sorbonne-Nouvelle, directrice du Contre de Recherches en Etudes féminines & Genres / Littératures francophones et récemment auteure de « Assia Djebar. Le manuscrit inachevé », avec Anaïs Frantz, Presses Sorbonne Nouvelle, 2021 ; Esma Gaudin-Azzouz, docteur en littérature francophone et comparée, auteure d’une thèse sur l’écriture algérienne féminine de langue française et présidente de l’association « Coup de Soleil Auvergne/Rhône-Alpes » ; Maïssa Bey, écrivaine, éditrice, enseignante, auteure de « Assia Djebar, femme écrivante » aux éditions Chèvre-Feuille étoilé, 2023 ; Sakina Imalhayene, sœur d’Assia Djebar
  2. Esma Gaudin-Azzouz, docteur en littérature francophone et comparée, auteure d’une thèse sur l’écriture algérienne féminine de langue française et présidente de l’association « Coup de Soleil Auvergne/Rhône-Alpes »

Article, photo, captation sonore et montage: Steven Miredin

Trouvé sur le Bondy Blog Centre