Le mardi 6 juin, la journée de mobilisation nationale n’a pas eu l’ampleur escomptée. Une faible présence sur les pavés, non sans lien avec l’intervention des « sages » dans la procédure législative. En effet, le vendredi 14 avril 2023, le Conseil constitutionnel – dit le Conseil des Sages – a rendu deux décisions ; la première en rejetant la réforme du referendum d’initiative partagée et la deuxième en estimant que la réforme des retraites était conforme à la Constitution. Cette décision, qui certes n’étonne personne, est indigne lorsque l’on observe de près les propos soutenus par les juges.
Le Conseil constitutionnel n’a pas jugé en droit. Une décision jugée en droit est argumentée, justifiée et prouvée. Les sages ont fait un choix, celui de ne pas censurer un texte juridiquement contestable. Ce choix qu’a fait le Conseil, c’est un choix politique.
Retour sur la réforme
Le 10 janvier 2023, le gouvernement annonçait l’amorce d’une réforme des retraites envisagée durant la campagne présidentielle. Un projet immédiatement rejeté par les syndicats et suivi d’une mobilisation nationale. Le Gouvernement s’est fixé un calendrier qu’il tient à tenir quoi qu’il en coûte. Pour satisfaire ses ambitions, il n’hésitera pas le 17 janvier à utiliser l’article 47-1 de la Constitution, réduisant à 50 jours le débat parlementaire. Une première atteinte au débat parlementaire sensé garantir la qualité de la loi.
Le peuple n’entend pas laisser le gouvernement mener son projet et une première journée de grève nationale est organisée le 19 janvier avec une forte mobilisation (1,120 millions de personnes dans les rues selon le rapport de police et 2 millions de salariés dans l’action selon les syndicats).
Pendant que le débat parlementaire s’intensifiait, la mobilisation dans les rues s’est poursuivie, avec plusieurs manifestations toujours aussi importantes (31 janvier, 7 février, 11 février, 14 février, 7 mars, et cetera). Des rendez-vous fréquents auxquels s’est joint une grève reconductible (on peut citer la grève des éboueurs).
Finalement, face au rejet massif de la réforme et voyant difficile l’obtention d’une majorité parlementaire autour de son texte, le Gouvernement engage sa responsabilité sur le texte par l’utilisation de l’article 49.3 de la Constitution. Une annonce qui fait suite à la déclaration du Gouvernement de ne pas y avoir recours. Une annonce qui relancera le mouvement de manifestations.
Après des mois de mobilisation, une crise sociale sans précédent depuis plus de 30 ans, un sabordage institutionnel inédit, le Conseil Constitutionnel se prononce le 14 avril et valide la réforme. Se sentant victorieux et se sentant soutenu par les sages du pays, le Président de la République n’attendra pas et promulguera la réforme le soir même.
Mais au fait, le Conseil constitutionnel c’est quoi? D’où tire-t-il sa légitimité?…
Institution de la Vème République, historiquement, le Conseil constitutionnel fut initié par De Gaulle. Son but : contrôler la conformité des lois à la Constitution et aux textes formant le bloc de constitutionnalité. Son travail n’est donc pas de juger en opportunité mais en droit c’est-à-dire savoir si un texte qu’on lui présente est conforme à la Constitution indépendamment du contenu. Il est le gardien du texte sur lequel est fondé la République, le texte cœur de la démocratie française : la Constitution. Il assure la protection de l’expression souveraine du peuple, héritage de la Révolution française.
Lorsque le juge constitutionnel statue sur la constitutionnalité d’un texte, il juge en droit et non en fait. Pour autant, l’existence d’un juge constitutionnel sous entend que les élus ne peuvent s’arranger avec la Constitution qui est l’expression du peuple souverain. L’exigence qui se pose pour le Conseil des sages est alors une neutralité et une fidélité au texte dont on lui donne la garde. On comprend que si la Constitution ne donne pas d’arguments au Conseil, celui ne censure pas les textes qu’on lui présente. Effectivement, en ce sens, on peut admettre le discours de Cécile Guérin-Bargues, professeure de droit public, à Paris-II-Panthéon-Assas estimant que « c’est le signe que le Conseil constitutionnel juge la constitutionnalité de la loi et pas son opportunité politique ou au regard de ce qu’il se passe en dehors du Conseil ».
Une décision qualifiée de honteuse et antidémocratique
Après des mois de mobilisation, une crise sociale, un blocage institutionnel inédit et après une réforme passée aux supers forceps qui s’est assise sur les remparts démocratiques de la France, la décision du Conseil constitutionnel reflète l’état de la démocratie française : une démocratie à l’agonie.
Pour preuve, le Conseil retient que « si l’utilisation combinée des procédures mises en œuvre a revêtu un caractère inhabituel, en réponse aux conditions des débats, elle n’a pas eu pour effet de rendre la procédure législative contraire à la Constitution. Par conséquent, la loi déférée a été adoptée selon une procédure conforme à la Constitution ». Au fond, le juge nous dit que si la loi n’est pas inconstitutionnelle parce qu’elle n’est pas inconstitutionnelle.
Alors que les oppositions avançaient de nombreux arguments fondés en droit : exigence de clarté du débat, sur le caractère représentatif de la démocratie, sur le fait que le Parlement vote normalement la loi, sur le fait que ces outils n’ont de légitimité qu’en cas de péril pour les institutions. Le Conseil constitutionnel n’a absolument pas pris en compte ces arguments. Il ne s’est d’ailleurs pas prononcé dessus.
Il n’est pas attendu pas du juge qu’il sorte du cadre constitutionnel, bien au contraire, il est attendu du juge de l’argumentation et de la justification. La rhétorique juridique, pour un juge, est essentielle dans une démocratie. Or le juge ici n’a pas justifié, il affirme que c’est conforme parce que c’est conforme. Dans une démocratie en bonne santé cette décision est fondamentalement inadmissible. Cette décision prend le peuple pour des idiot.e.s. C’est estimer que le juge et le gouvernement n’ont pas de compte à rendre sur la gestion du pays. Or, dans un régime par le peuple et pour le peuple, les institutions doivent rendre des comptes tout le temps et pour tous. La démocratie, c’est donc l’inverse de la politique macroniste qui affirme qu’elle n’a pas à rendre de compte. Dans une démocratie, les seuls qui n’ont pas à rendre de compte, c’est le peuple souverain. Lorsque le juge ou le gouvernement ne rendent pas de compte, ils usurpent le pouvoir au peuple. L’absence de justification de la part du conseil constitutionnel est une usurpation de la souveraineté du peuple.
Steven Miredin