Le calendrier présidentiel s’accélère et s’attaque aux populations les plus exposées. Après une réforme des retraites visant à renforcer l’exploitation des populations les plus précaires, le gouvernement cible ensuite les étrangers. Entre violences humaines, sociales et durcissement de la politique migratoire, ces violences vont venir s’exercer dans la ville d’Orléans où va venir s’implanter en 2023, un Centre de Rétention Administrative (CRA). Ce CRA s’installe sur Olivet, proche de l’Université d’Orléans et devrait ouvrir ses portes dès le deuxième semestre de cette année.
Une prison qui ne dit pas son nom
Un « CRA » c’est quoi ? C’est un Centre de rétention administrative géré par la police où l’Etat choisit d’emprisonner des personnes qu’il veut expulser. Ces personnes ne sont pas là parce qu’elles auraient commis un crime ou un délit mais parce que l’Etat français considère qu’elles n’ont pas à être sur le territoire. Les CRA ont été créés dans les années 80 et aujourd’hui on en compte plus d’une vingtaine en France métropolitaine et 4 en Outre-mer. En 2021, plus de 42 000 personnes y ont été enfermées1 et plus de 50 000 en 2019.
Les CRA sont des lieux d’autant plus répressifs qu’ils ne relèvent ni des prisons, ni du Code pénal. Administrés par le ministère de l’Intérieur, il s’agit de maintenir sous surveillance pour une durée maximum de 90 jours des hommes et des femmes, majeurs ou mineurs visées par une procédure administrative d’éloignement du territoire, le plus souvent parce qu’ils ne disposent d’aucun titre de séjour, ou parce que, sortis de prison après condamnation pénale, ils sont sous le coup d’une obligation de quitter le territoire, assortie ou non d’une interdiction du territoire français, prononcée par le juge pénal. C’est la « double peine ». Ce procédé oblige à parler, non pas de « détention » (réservée à celles et ceux qui ont été condamné-e-s) mais de « rétention » (les prisons relevant du Ministère de la Justice et les CRA relevant du Ministère de l’Intérieur).
Le CRA d’Olivet a été construit suite à un appel d’offre du SGAMI Ouest.
De la rétention à la détention, il n’y a qu’un pas...
Comme une prison, le CRA est un lieu de privation de liberté. Depuis 2015, les députés et les sénateurs peuvent s’y rendre avec des journalistes. Quelques associations de défense des droits des étrangers sélectionnées par le gouvernement y ont également accès.
L’une des différences entre un CRA et une prison repose sur le fait que les retenus peuvent – en théorie – se déplacer librement à l’intérieur du bâtiment où et quand ils le veulent, à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. Une obligation découlant des dispositions européennes, qui, d’après les témoignages recueillis ne sont pas toujours respectées.
Ce sont des lieux précaires et insalubres relevant d’une mesure de police faiblement codifiée et abandonnée à l’usage discrétionnaire des forces de l’ordre. On y retrouve parfois des personnes parquées à deux dans de petites chambres sans aucune intimité et dans des conditions déplorables. Il n’est pas rare d’avoir des locaux délabrés/dégradés. Le ménage n’est pas nécessairement quotidien. Tout rappelle, le milieu carcéral (grillage, barbelés, isolement, surveillance constante par caméra, injonction quotidienne par la police, du bruit constant, interdiction de téléphone doté de caméra et cetera). Les journées sont marquées par l’attente et le fait qu’il n’y ait aucune activité. Un écosystème de violences qui s’exercent sur des personnes qui n’ont commis aucun crime, si ce n’est d’être sans papier. Des personnes poussées hors du pays, poussées au suicide, poussées hors du champ de l’humanité.
Un enfermement violent et inutile.
Ces personnes sont parfois confinées pour rien. En 2021, 51%2 des personnes retenues ont fini par être libérées après un séjour en CRA en France métropolitaine. Lorsque des personnes sont libérées, c’est parce que le juge annule des décisions de la préfecture. L’annulation résulte soit de décisions ne respectant pas les garantie procédurales (donc problème de légalité) soit d’un manque de prise en compte de la situation individuelle des personnes. Plus rarement, la préfecture peut décider de mettre fin à la rétention. Un enfermement d’autant plus contestable que la Cour des Comptes a dénoncé le coût important des mesures de rétention prescrites entre 2006 et 2020.
Un espace de violation perpétuelle des droits humain.
S’agissant de l’enfermement des enfants, la France a déjà fait l’objet de multiples condamnations pour violation de la Convention européenne des Droits de l’Homme (CEDH).
Le droit retient qu’il est impossible de prendre une mesure d’éloignement pour les mineurs isolés. La durée de rétention doit être brève et dans des conditions adaptées pour les familles3. Le placement des mineurs en enfermement est possible dans les zones d’attente4. Un maintien de zone d’attente qui peut attendre 20 jours avec des mesures spécifique des mineurs isolés. Le CESEDA prévoit seulement la possibilité de retenir des familles avec enfants, mais interdit l’enfermement d’enfants isolés. Pourtant, en 2021, 76 enfants ont été concernés en métropole et quarante fois plus à Mayotte. Pour le début d’année 2022, environ 90 cas d’enfermement d’enfants ont été constatés. Depuis 2012, ce sont 33 000 enfants enfermés en CRA.
L’enfermement de l’enfant est contraire au principe de la Convention internationale des droits de l’enfants. La Cour EDH a condamné la France à 9 occasions (conditions de rétention, durée enfermement, âge de l’enfant). L’UNICEF a tenté d’objectiver les impacts de l’enfermement des enfants. L’enfermement des enfants conduit par exemple au refus de s’alimenter.
Le défenseur des droits a aussi eu l’occasion de s’exprimer sur les conditions d’existence des enfants dans les CRA. Le constat est flagrant, « défaut de prise en compte par les fonctionnaires de police de la déclaration de minorité des personnes exilées contrôlées ou interpellées5 ». Tant d’illégalités constatées par le Défenseur des droits6 que par la Cour EDH7. A titre d’illustration, la Cour EDH a condamné la France pour la violation des articles 3 (Interdiction des traitement inhumains ou dégradants), 5 al.1 (Droit à la liberté et à la sûreté), 5 al.4 (droit de faire statuer à bref délai sur la légalité de sa détention). Lorsque l’âge des personnes n’est pas clairement établie, le pouvoir en place profite d’un vide juridique pour enfermer des enfants.
La fermeture des CRA n’est une option pour le gouvernement.
Les CRA sont une manière publique de répondre aux discours médiatiques et politiques sur l’immigration. La remise en cause des CRA serait donc pour les dirigeants politiques un aveu. Un aveu sur l’inefficacité d’une politique de rétention, un aveu sur les violations multiples des droits de l’homme.
Avec la réponse des CRA, on obtient un décalage entre les discours publics sur l’immigration et la place réelle qu’elle occupe en France8.Des contrevérités et approximations9 qui viennent justifier un argumentaire favorable à la répression. Avec une politique venant alimenter « l’industrialisation du système d’expulsion ». Un système avec des objectifs statistiques d’expulsions, d’augmentation des rétentions, d’ouverture de CRA supplémentaires (Lyon ou Orléans Dunkerque).
La réalité, c’est que les gouvernements ont mis en place ce dispositif non pas tant pour expulser que pour organiser le contrôle et la surveillance d’une population mais aussi de l’invisibiliser. Mais ces dirigeants s’accommodent bien d’une population résidant en France, dépourvue de statut, perdue dans les limbes juridiques et le maquis du CESEDA.
Un système en plein dysfonctionnement.
La situation des centres est d’autant plus d’actualité que la Cimade10 qui intervient dans les CRA pour aider les personnes retenues à faire valoir leurs droits, a récemment exercé son droit de retrait11. Un retrait qui tend à souligner la violence institutionnelle dont fait preuve le ministère de l’Intérieur. Dans un communiqué de presse paru le 16 février 2023, la Cimade mais aussi la Défenseure des droit ont constaté une multiplication des éloignements alors qu’un recours juridictionnel était pendant ; une absence de prise en compte de l’état de santé des personnes ; une multiplication des violences exercées par les forces de police.
A Orléans : un projet de l’Etat, sur un terrain de l’Etat.
Il est important de rappeler les difficultés rencontrées par les personnes étrangères pour accéder aux services de l’Etat en préfecture, notamment en raison de la dématérialisation des procédures12.
C’est avec la plus grande discrétion que le ministère de l’Intérieur a commandé un CRA, rue de Châteauroux, à Olivet, en lisière du campus de La Source. Un projet qui a mobilisé un peu plus de 12 millions d’euros. Un budget d’autant plus affolant quand on connaît la précarité dont souffre les étudiants voisins.
Implanter un CRA dans la métropole d’Orléans n’a été motivé que par des aspects d’accessibilité à différents services (proximité avec l’aéroport, TA et juge des libertés).
Le CRA d’Olivet comptera 90 places. Des places qui devraient s’ouvrir progressivement. Le Tribunal Administratif d’Orléans table sur environ 250 requêtes déposées par an concernant notamment la contestation des OQTF. Une estimation qui se base sur la comparaison avec des CRA de taille similaire. Une estimation qui ne prend pas en compte le fait que le ressort du Tribunal Administratif d’Orléans n’est pas compétent pour toute la région. En parallèle, le Tribunal Judiciaire d’Orléans s’attend à devoir traiter entre 1500 et 2000 dossiers par an.
Les cas de saisine des différents tribunaux seront surement supérieurs du fait que ce CRA est le seul de la région Centre-Val de Loire.
Toutes ces défaillances, ces mensonges profitent aux seuls intérêts de l’Etat instructeur du projet. La ville d’Orléans va accueillir une nouvelle prison qui ne dit pas son nom.
Steven Miredin
Pour aller plus loin :
- Etat Généraux des Migrations, En finir avec les idées fausses sur les migrations, Sophie-Anne Bisiaux, Les Editions de l’Atelier
- La Cimade, Chroniques des rétention 2008-2010, Solin Actes Sud
- CRA Centre de Rétention Administrative, Meybeck, Des ronds dans l’O
- Le territoire de l’expulsion, La rétention administrative des étrangers et l’Etat de droit, Nicolas Fischer, Ens Edictions
Quelques recommandations culturelles pour s’informer sur le sujet:
1 42 353 selon un rapport d’association de défense des droits des étrangers
2 https://www.youtube.com/watch?v=ExNSueGJMdQ
3 Article 37 de la Convention EDH
4 https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F11144
5 Décision du Défenseur des droits n° 2021-029
6 https://juridique.defenseurdesdroits.fr/index.php?lvl=notice_display&id=38088&opac_view=-1
7 https://www.echr.coe.int/documents/fs_accompanied_migrant_minors_detention_fra.pdf
8 Le territoire de l’expulsion, La rétention administrative des étrangers et l’Etat de droit, Nicolas Fischer, ENS Editions
9 https://www.humanite.fr/politique/gerald-darmanin/l-offensive-anti-immigration-de-gerald-darmanin-759342
10 https://www.lacimade.org/nos-actions/retention-et-expulsion/
11 https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/03/02/les-centres-de-retention-sont-devenus-des-lieux-de-violations-systematiques-des-droits-et-d-atteintes-graves-a-la-dignite-humaine_6163825_3232.html
12 https://www.magcentre.fr/247265-lasti-denonce-une-forme-de-maltraitance-a-la-prefecture-du-loiret/
Un article rédigé par Steven Miredin
L’émission enregistrée le 25 mars en co-production avec Zotéli est disponible ci-dessous. Elle a été réalisée et animée par Steven Miredin.
Photos de Daniel Beghdad