Le 24 septembre dernier, l’association d’extrême droite France Souveraineté organisait une nouvelle conférence dans les locaux d’une association paroissiale d’Orléans. Nous avons pu écouter l’intervention de Xavier Moreau et décrypter son discours pro-russe grâce à Alexandra Goujon, enseignante-chercheuse spécialiste de l’Ukraine.
C’est via la page Twitter du collectif antifasciste d’Orléans que nous l’avions appris : une nouvelle conférence a été organisée par France Souveraineté le 24 septembre dernier. Cette association, maintes fois dénoncée par les antifascistes orléanais et par le mouvement social en général, est connue pour l’organisation de réunions sur des sujets chers à l’extrême droite.
Le sujet de cette dernière conférence n’y fait pas exception : « Après la guerre en Ukraine vers un nouvel équilibre mondial ? ». Le sujet peut paraître banal en ce moment, mais l’intervenant Xavier Moreau est loin de faire l’unanimité auprès des spécialistes de la question. Cet ancien officier franco-russe est connu pour sa diffusion de désinformations en faveur de Moscou. Il est aussi le fondateur du site pro-russe Stratpol qu’il présente comme un « centre d’analyses politico-stratégiques ».
Une conférence de nouveau organisée dans un local paroissial
La conférence ne se tenait pas, cette fois-ci, à la médiathèque d’Orléans, pourtant très appréciée de l’association, mais à la salle du Lion de Saint-Marc, un local entretenu et géré par des paroissiens bénévoles.
Interrogé par nos soins, le diocèse déclare « ne pas avoir de lien avec cette association ». Même son de cloche du côté de l’association « Le Lion de Saint-Marc », qui affirme de son côté « ne pas pouvoir préjuger du contenu d’une conférence ».
En 2022, l’association « Le Lion de Saint-Marc » et le diocèse avaient pourtant annulé d’un commun accord une conférence de l’auteur antisémite Pierre Hillard organisée dans cette même salle par France Souveraineté déjà.
Si nous n’avons pas été invités à cette conférence, nous avons pu néanmoins en visionner le contenu sur la chaîne YouTube de France Souveraineté. Planté devant une estrade flanquée de drapeaux à fleurs de lys, Xavier Moreau déroule sa vision de l’Ukraine et de l’offensive russe pendant près d’une heure.
L’Ukraine ne serait « pas une nation » pour le conférencier
Nous avons interrogé Alexandra Goujon, maître de conférences en sciences politiques à l’université de Bourgogne et enseignante à Sciences Po Paris. Elle mène des recherches sur l’Ukraine depuis le milieu des années 1990.
Emission
Notre émission complète avec Alexandra Goujon est à retrouver ci-dessous.
Selon le conférencier invité par France Souveraineté, l’Ukraine ne serait « pas une nation » et il n’y avait « pas d’Ukraine avant que les Bolchéviques ne créent un Etat à l’intérieur de l’Union soviétique ».
Xavier Moreau certifie également que les populations d’Ukraine n’auraient rien à voir ensemble et que l’Ukraine aurait dû éclater après la dislocation de l’URSS en 1991. Il répète plusieurs fois au cours de la conférence que « l’Ukraine est une terre russe, éminemment russe ».
Un intervenant au service du Kremlin
Il va jusqu’à qualifier la révolution de Maïdan en février 2014 de « coup d’Etat » (alors que c’est un soulèvement populaire contre les oligarques, les violences policières et la corruption). L’intervenant justifie ainsi l’annexion de la Crimée par la Russie à la suite de la révolution de Maïdan, car « il n’y a plus d’ordre constitutionnel à Kiev ».
Interrogée sur ce point, Alexandra Goujon n’est pas étonnée de cette qualification de « coup d’Etat » qui est habituelle dans la propagande russe. Selon la spécialiste, cette révolution est « un mouvement composé d’énormément de groupes sociaux avec une grande défiance contre les élites politiques ». L’extrême droite y serait minoritaire, contrairement à ce que chercherait à faire croire la Russie.
La chercheuse explique que le président ukrainien avait fui le pays suite à la révolution et qu’il a été déchu à la suite de cela par une décision du Parlement. Ce processus de changement de gouvernement s’effectue de façon transparente via le Parlement, contrairement à la prise de pouvoir par les forces militaires russes en Crimée.
De même, l’invasion russe en 2022 serait justifiée, selon Xavier Moreau, parce que « Kiev s’apprêtait à lancer l’épuration ethnique du Donbass ». L’intervenant répète par ailleurs de nombreuses fois que des menaces pèseraient sur la population russophone d’Ukraine. Cependant, malgré nos recherches, nous n’avons trouvé aucune preuve de ces accusations. La Russie est, elle, au contraire, responsable de crimes de guerre bien documentés.
Décrypter la propagande russe
Selon Alexandra Goujon, « la Russie se présente comme protégeant les russophones qu’elle assimile à ses compatriotes et les présente comme menacés physiquement ». Cependant, la chercheuse indique que c’est la langue ukrainienne qui fut menacée de disparition dans les années 80 avec une langue russe majoritaire dans les écoles.
Alexandra Goujon ajoute qu’il n’y a pas d’adéquation entre la russophonie et l’attachement à la Russie. Certains militaires ukrainiens engagés contre l’offensive russe sont d’ailleurs russophones. Sur la menace physique qui pourrait peser sur les russophones, la réponse de la chercheuse est claire : « Certes, il y a des lois qui visent à faire en sorte que l’ukrainien s’installe dans la vie publique, mais elles n’entraînent jamais une menace sur les russophones ».
En fin de présentation, Xavier Moreau avance même la thèse complotiste selon laquelle l’avion de la compagnie Malaysia Airlines du 17 juillet 2014 aurait été abattu par l’armée ukrainienne avec l’accord des États-Unis. « L’armée Ukrainienne a détruit le MH17 délibérément avec la bénédiction de la CIA », soutient-il. Les différentes enquêtes internationales indépendantes concluent pourtant que le vol a été abattu par les séparatistes pro-russes.
Les arguments s’enchaînent à vive allure
Tout le discours de l’ancien officier consiste donc à justifier grossièrement l’invasion de l’Ukraine par la Russie à grand renfort de désinformation. Ce discours séduit toute une partie de l’extrême droite française admirative de la politique de Vladimir Poutine.
Difficile en tout cas, en écoutant cette conférence sans être spécialiste du sujet, de ne pas se faire avoir par la désinformation du Kremlin, car les arguments de l’intervenant s’enchaînent à vive allure et sans aucune pause.
Heureusement, il est possible de s’informer grâce aux travaux des chercheurs et spécialistes qui bénéficient de la reconnaissance du milieu scientifique. Alexandra Goujon a elle-même écrit un ouvrage intitulé Ukraine, de l’indépendance à la guerre, qui permet d’aller au-delà des idées reçues et de la propagande russe.
Le « mythe nazi »
La chercheuse conseille également le livre d’Elena Volochine, journaliste d’origine russe : Propagande : l’arme de guerre de Vladimir Poutine. Cet essai consacre tout un chapitre au « mythe nazi », qui consiste à faire croire que l’Ukraine serait nazie ou fasciste et permet de déshumaniser la population ukrainienne, et donc de mener une politique criminelle en Ukraine.
Le collectif antifasciste d’Orléans a, de son côté, profité de cette conférence pro-russe pour envoyer sur X (ex-Twitter) une pique à Serge Grouard en lui demandant s’il accepterait de louer de nouveau la médiathèque à France Souveraineté. Le maire d’Orléans avait, en effet, renommé le pont de l’Europe en « pont de l’Ukraine » et fait pavoiser la rue Jeanne-d’Arc de grands drapeaux ukrainiens, multipliant les déclarations de solidarité et les aides aux réfugiés ukrainiens.
La position de Serge Grouard semble donc, sur ce point, s’éloigner des habituelles obsessions de l’extrême droite parlementaire. Malgré la tenue d’une conférence avec un intervenant ouvertement antisémite, la mairie continuait cependant, en 2023, d’accueillir l’association au forum des associations d’Orléans au nom de la « liberté d’expression » (dont l’antisémitisme ne fait heureusement pas partie).
Reste à savoir si cette dernière conférence pro-russe pourrait contribuer à éloigner France Souveraineté des équipements municipaux.
Pour aller plus loin
- Notice de Conspiracy Watch sur Stratpol
- Desk Russie : Voyage au pays des idiots utiles de Poutine
- Fiche Wikipédia de la révolution de Maidan
Sébastien Fourrier