Depuis le 13 octobre 2017, et pour la première fois dans en Région Centre Val-de-Loire, a lieu la Biennale d’architecture. Le thème choisi, « Marcher dans le rêve d’un autre » est évocateur, autant que le lieu que nous avons choisi de vous présenter et qui est au centre de l’exposition : le Haut-lieu de l’hospitalité.
Conçu par le Pérou (Le Pôle d’exploration des ressources urbaines) et Patrick Bouchain comme la 36 001e commune de France, « le Haut-lieu de l’hospitalité (…) est une œuvre éphémère et participative » précise le Guide de la Biennale. Installé dans le hall des Turbulences à Orléans, elle est conçue pour que le visiteur flâne, s’installe, s’approprie les lieux : des chaises installées face à un écran comme dans un cinéma, des poufs par terre comme dans un salon ou encore des tables rondes qui font penser à des tables de cafés… La particularité, c’est que l’on est entouré par des toiles dessinées, représentant les bars, magasins, les habitations, qui composaient jusqu’en octobre dernier, la jungle de Calais…
Le 24 octobre dernier, Bernard Cazeneuve ordonne le démantèlement du site dans lequel vivaient entre 8 000 et 10 000 personnes, en attente de pouvoir traverver la Manche vers l’Angleterre. Avec la promesse de les accompagner dans les démarches vers l’asile. Adultes et mineurs sont acheminés en bus dans différents lieux d’accueil en France. Aujourd’hui, les tentes sont de retour à Calais et plusieurs ONG témoignent d’une situation sanitaire et sécuritaire « bien pire que du temps de la Jungle ».
Mémoire de ce site détruit, le Haut lieu de l’hospitalité du Hall des Turbulences est devenu la demeure de la 36 001e commune de France, dont voici le (faux) extrait du registre des arrêtés municipaux distribué sur place :
« Considérant que la jungle de Calais fut habitée par plus de 20 000 exilés, non pas errants mais héros, rescapés de l’inimaginable, armés d’un espoir infini .(…)
Considérant qu’à bonne distance du centre historique de Calais, l’on a habité, cuisiné, dansé, fait l’amour, fait de la politique, parlé plus de vingt langues, chanté l’espoir et la peine, ri et pleuré, lu et écrit, contredit ainsi avec éclat les récits accablants (…).
Déclare : Article 1 : Que la destruction de la Jungle de Calais doit se voir consignée dans les pages de l’histoire de France contemporaine comme un acte de guerre conduit non seulement contre des constructions, mais aussi contre des hommes, des femmes, des enfants, des rêves, des chants, des histoires, non seulement contre un bidonville mais contre ce qui en 2016 a fait ville à Calais »(…)
Sur les murs, des témoignages sont scotchés en rose fluo : des récits de vie croisés entre des citoyens français et ceux qu’on appelle migrants, des témoignages de moments de vie partagés, de bénévolat, d’acte de solidarité « du quotidien »… Au final, cela fait écho à des situations que nous vivons tous et dans laquelle beaucoup se retrouveront, sans avoir pensé que cela avait « tant d’importances ».
Témoigner pour la mémoire
Une interview de Patrick Bouchain diffusée sur écran nous permet de mieux cerner ce personnage : architecte, constructeur, scénographe, et co-auteur du livre « Le pouvoir de faire », il témoigne des qualités lui paraissent centrales pour le vivre ensemble : la fraternité, la solidarité, l’hospitalité. Celui qui milite non pas pour le label HQE (haute qualité environnementale) mais plutôt « HQH (haute qualité humaine ) nous explique son projet, son histoire, ses rencontres et sa philosophie de vie : « c’est l’imprévu qui fait la vie et l’opportunité qui fait l’imprévu. Donc saisir l’opportunité c’est comprendre la richesse de la vie : tout est possible. »
L’opportunité, Patrick Bouchain l’a saisie. Il a offert la collection au Frac Centre-Val de Loire : l’État a voulu faire disparaître la jungle de Calais, elle lui revient sous forme artistique et ne peut être détruite…
C’est d’ailleurs la force de cette Biennale : « elle est le lieu des collisions des mémoires (…), écrit Adbelkader Damani, directeur du Frac Centre-Val de Loire. « Ces échanges réciproques, anachroniques, dissonants et sous tension offrent, nous l’espérons, la condition pour penser une « architecture libre », capable d’abriter les changements du monde ».
Infos pratiques :
Biennale d’architecture, FRAC d’Orléans du 13 octobre 2017 au 1er avril 2018
Du mercredi au dimanche : 14h – 19h
Accès gratuit
88 rue du Colombier
Entrée Boulevard Rocheplatte
45000 Orléans
http://www.frac-centre.fr/expositions/la-biennale-architecture-orleans-873.html
Pour aller plus loin
Le pouvoir de faire, Jack lang et Patrick Bouchain, édition Domaine du Possible, Actes Sud ;
Tiny house, le nid qui voyage, Célia Robert, Bruno Thiery,Yvan Saint-Jours, édition YpyPyp ;
Les villes invisibles, Italo Calvinos, éditions du Seuil ;
Contre la bienveillance, Yves Michaud, édition Stock ;
Architecture minute, Susie Hodge, édition Contre-dires ;
Espèce d’espace, George Perec, édition Galilée.
Angelina Tessier