La série Adieu ma honte était diffusée en avril dernier au Bouillon, à l’initiative du collectif Etudiants en lutte Orléans. Ces derniers avaient invité des membres de l’association Organisation solidarité trans pour débattre sur cette production documentaire évoquant l’homophobie dans le football français.
Vendredi 17 mai 2024. Cette journée internationale contre l’homophobie et la transphobie est une bonne occasion pour la Rédac Pop de revenir sur une projection fort intéressante qui s’est tenue le mois dernier au Bouillon, le centre culturel de l’université d’Orléans.
Le tout jeune collectif Etudiants en lutte Orléans organisait une projection d’une série documentaire de quatre épisodes intitulée Adieu ma honte. Il s’agit de la transcription sur l’écran de l’autobiographie éponyme co-écrite par Ouissem Belgacem, grand espoir passé par le centre de formation du Toulouse football club.
Un talent gâché par une dépression qu’il a développée au cours de ses six années passées dans le club professionnel. Pour cause, Ouissem Belgacem est homosexuel et a dû vivre avec un masque pendant toute la première partie de sa vie, dans des milieux où cette condition n’est pas vécue comme la banale normalité. Le documentaire est toujours disponible sur la plateforme numérique de Canal plus.
Invités à cette soirée, des adhérents de l’Organisation solidarité trans (OST) ont participé à un débat après la projection. Car le film était loin de faire l’unanimité dans sa manière d’aborder l’homophobie et la transphobie. C’est d’ailleurs précisément la raison pour laquelle il avait été choisi.
Maure, une personne membre d’OST interrogée après coup, trouve le film « très intéressant », mais a souvent tiqué à l’évocation du mot « tolérance », maintes fois prononcé. « Être accepté ou toléré, ce n’est pas du tout ce que je cherche, confie-t-elle. J’aimerais que mon identité ne soit pas un petit défaut ou un petit truc bizarre par-dessus lequel on passe. »
Sa réaction complète est à écouter ci-dessous, suivie de celle de Félix, un membre des Etudiants en lutte Orléans qui étaient à l’organisation de la soirée.
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Que raconte cette série ?
Dans son quartier populaire d’Aix-en-Provence, dans son centre de formation de football à Toulouse, dans sa famille de confession musulmane… Tout indique à Ouissem Belgacem qu’un garçon doit être fort, viril et aimer les femmes.
A cette époque, le jeune footballeur est pressenti pour passer professionnel, enchaîne les conquêtes féminines et s’impose comme un leader charismatique. Il participe même, à sa grande honte et pour éviter tout soupçon, à des chasses aux homosexuels avec quelques coéquipiers ! Bref, il porte le masque et se construit un faux personnage.
Dans sa famille, Ouissem est soutenu par ses soeurs lorsqu’il leur avoue son orientation sexuelle une fois adulte. Mais il se heurte à l’hostilité de sa mère, qui ne lui parlera pas pendant deux ans.
Problème systémique
Le monde qu’elle s’était idéalisé autour de son fils s’écroule. « C’est Haram… C’est pêché », dit-elle dans le documentaire, pour expliquer son attitude de l’époque. Affirmation pourtant contredite par un imam, Ludovic-Mohamed Zahed. Interrogé dans le documentaire, l’homme de foi soutient que l’interprétation du Coran faite par les premiers musulmans, dont l’oncle du Prophète Mahomet, n’a « jamais parlé d’homosexualité, ni de près, ni de loin ».
La maman d’Ouissem finit, au bout de deux ans, par accepter la condition de son fils, explique à son fils en face-à-face, dans l’ancienne maison de ses parents, qu’elle est « guérie », même si elle ne semble pas encore avoir vraiment intégré la normalité de la condition de son fils… « Ce n’est pas ta faute », dit-elle, comme si la situation portait encore une part négative…
Mais le film s’attache aussi et surtout à dénoncer l’homophobie systémique dans le football. Dans sa jeunesse, Ouissem est doué et peut prétendre à une carrière professionnelle. Mais il vit dans un environnement foncièrement homophobe. Il sait que s’il dévoile son orientation sexuelle, il se retrouvera isolé du groupe. Alors il serre les dents, mais son mal-être prend le pas sur son jeu, ses performances déclinent et il ne parvient pas à passer professionnel.
Face aux a priori
Parti aux Etats-Unis et ayant auparavant joué sur le continent africain avec la sélection tunisienne, Ouissem se rend compte que l’homophobie n’est pas qu’un problème français. Elle est systémique au football. Alors âgé de 20 ans seulement, il se dit consumé, éteint et épuisé psychologiquement. Il décide alors d’arrêter le football, de tout couper et de s’installer à Londres.
Lorsqu’il réalise enfin son coming out et qu’il sort son livre avec beaucoup de succès, il s’attend à être contacté par la Fédération française, pour réfléchir à la sensibilisation des footballeurs. Mais aucun coup de fil ne lui est adressé par l’association. Il est en revanche beaucoup sollicité à l’étranger, comme en Belgique par exemple. En France, quelques clubs de Ligue 1 l’appellent pour faire des interventions auprès de leurs jeunes, à l’image de son ancienne équipe, Toulouse, mais aussi l’AS Monaco.
A chaque fois, il se heurte aux a priori, aux préjugés auxquels il faut répondre. Lors d’une intervention au centre de formation de l’AJ Auxerre, l’hostilité et l’homophobie d’un grand nombre de jeunes sont particulièrement palpables. Il sort souvent lessivé de ces échanges et demande de l’aide, mais les murs peinent à bouger dans le milieu du ballon rond.
Certains amis d’Ouissem pensent que les choses pourraient sensiblement évoluer lorsqu’une grande star du football en activité fera son coming out. Pour l’instant en France, seuls quelques rares joueurs à la retraite comme Olivier Rouyer ont osé dévoiler leur homosexualité…
Thomas Derais