A la mi-mai, une étudiante orléanaise a poussé les portes de notre rédaction pour évoquer son quotidien fait de regards suspicieux, de menaces, ainsi que d’insultes racistes et misogynes. Son soi-disant tort ? Le fait de porter un voile.
C’est une matinée de travail ordinaire dans les locaux de Radio Campus Orléans et de La Rédac Pop. Les bénévoles vont et viennent, les coups de téléphone s’enchaînent.
Parfois, des inconnus franchissent notre porte pour demander des renseignements sur la radio, le bénévolat… D’autres, plus rares, ont tout simplement envie de parler de choses qui les touchent. C’était le cas pour cette jeune femme, à la mi-mai, quelques semaines avant les élections européennes ayant abouti à une victoire écrasante de l’extrême droite et à la dissolution de l’Assemblée nationale.
Cette étudiante en licence 1, que nous appellerons Selma pour préserver son identité, veut évoquer son « ras-le-bol ». Car cette musulmane pratiquante porte un voile et se déplace régulièrement avec la boule au ventre. De nationalité française uniquement, elle est née dans l’Hexagone et, après avoir passé une partie de sa vie au Maghreb, est revenue dans son pays d’origine il y a quelques années, d’abord en études secondaires, avant d’entrer à l’université d’Orléans.
Des insultes misogynes et racistes
Son retour en France a été un « choc » pour elle. Regards, sous-entendus, et parfois même paroles ouvertement blessantes lui sont adressés. Des formules insultantes, racistes et misogynes telles que « rentre dans ton pays », « sale pute », « si tu mets ton voile, c’est pour exciter les gens autour de toi » ou encore « tu veux juste qu’on te soulève ». « C’est vraiment très régulier », assure-t-elle.
Une « haine » qu’elle « [se] mange au quotidien », insiste-t-elle, « que ce soit dans la rue, dans les transports ou dans la fac ». « C’est grave, poursuit-elle. Ce n’est pas drôle de se prendre ça en pleine figure. »
A cela s’ajoutent les nombreux regards suspicieux qui lui sont jetés, car ses parents sont cadres et gagnent bien leur vie. « Apparemment, ils auraient volé leur belle voiture, ils n’auraient jamais travaillé pour et depuis qu’ils sont tous jeunes… », soupire-t-elle. Il en est de même pour ses vêtements ou ses effets personnels, suspectés d’avoir été volés. Dans ses recherches d’emplois saisonniers, enfin, elle se retrouve aussi freinée par le port de son voile.
Contraindre une femme, « c’est très grave dans notre religion »
Selma explique qu’il n’est pas rare que les propos violents dont elle est la cible sortent de la bouche de jeunes personnes. Des étudiants lui répètent régulièrement qu’elle ne devrait pas porter le voile. Elle rappelle que la loi l’autorise à le faire dans l’espace public et à l’université.
Quant au consentement, elle est catégorique et son jugement vaut aussi bien pour la France que pour les pays dans lesquels les femmes sont contraintes de porter le voile. « Aucun homme, aucune femme, aucun parent, aucune famille, aucun terroriste n’ont le droit de dire à une femme comment elle doit s’habiller, de la forcer ou de la contraindre, martèle-t-elle. (…) C’est quelque chose qui est très grave dans notre religion. J’aimerais qu’on le dise plus haut et plus fort car ça m’excède. »
« Mon père n’a jamais parlé du voile. Au contraire, il était contre »
La jeune Loirétaine affirme que le port de son voile et sa pratique de la religion sont en lien avec sa seule spiritualité et son « amour pour Dieu ». « C’est ma bouffée d’oxygène dans ce monde un peu compliqué, soutient-elle. Et ça rend les gens malades quand on leur dit ça. Ils se disent que ce n’est pas possible, que je mens et que je suis manipulée par mon père. Mais mon père n’a jamais parlé du voile. Au contraire, il était contre. Et j’en connais énormément dans mon cas dont les parents ne veulent pas qu’elles portent le voile parce qu’ils craignent qu’elles soient discriminées. Mais ce n’est pas parce qu’on va se faire discriminer qu’on ne doit pas mettre ce qu’on veut. Des copines mettent des décolletés et des minijupes pour aller en soirée le samedi soir. Moi, j’ai envie de mettre un voile et une abaya. »
Selma n’a pas pour objectif de rester à la maison après s’être mariée et avoir fait des enfants. « Je veux faire des études, avoir un bon salaire, aider des gens dans la société française, dans la communauté musulmane ou d’autres communautés. Je veux contribuer à la société et apporter ma pierre à l’édifice », souligne-t-elle. Mais elle ne s’étonne pas de voir partir des musulmans diplômés.
Alors que l’Assemblée nationale a été dissoute et que le Rassemblement national n’a jamais semblé autant proche du pouvoir, elle compte rester pour le moment. « Je vais rester en France, je vais me battre et si jamais ça devient invivable pour ma santé mentale, je partirai si j’ai l’opportunité, imagine-t-elle. Mais c’est très triste parce que j’ai toujours été attachée à la France. La France, c’est ma famille, mes amis, tout ce que je connais. Me faire repartir quelque part d’autre et tout reconstruire, c’est quelque chose que je ne souhaite pas, qui me rendrait très malheureuse. »
Thomas Derais
Pour contextualiser
Retrouvez dans ce lien notre entretien complet effectué avec Alice Picard et Olivier Esteves. Ces deux sociologues qui ont écrit avec leur confrère Julien Talpin le livre La France, tu l’aimes mais tu la quittes, une enquête sur la fuite à l’étranger de la diaspora musulmane française face à l’islamophobie qu’elle subit.