Retour sur 30 ans d’immigration à Orléans avec le livre de Régis Guyotat

Régis Guyotat (à droite) était accompagné de Rrachdi (à gauche), arrivé en France en 1959. Photo Steven Miredin
Régis Guyotat (à droite) était accompagné de Rrachdi (à gauche), arrivé en France en 1959. Photo Steven Miredin

En juin dernier, la librairie des Temps modernes accueillait Régis Guyotat pour la présentation de son dernier livre. Il est revenu sur l’histoire d’Orléans et des travailleurs étrangers durant les Trente Glorieuses.

Pour la dernière présentation de l’année 2023-2024, la librairie des Temps modernes a proposé une rétrospective sur l’histoire de l’immigration dans la région orléanaise. Pour cela, Régis Guyotat, ancien journaliste du quotidien Le Monde, est venu présenter son dernier livre en date : L’homme au passe-montagne : Être immigré à Orléans durant les Trente Glorieuses.

Un livre d’histoire et d’actualité

Le livre de l’ancien reporter rappelle que cette période n’a pas été « glorieuse » pour tout le monde. Dans cet ouvrage, il est question d’Orléans, de sa géographie et de la topographie des lieux. Ces places étaient tout sauf des lieux d’accueil. Il est aussi question de non-hospitalité, de migrants qui ont tout donné et qui n’ont rien eu en retour.

A travers ce livre, Régis Guyotat remet en perspective le passé et le présent.

Présentation du livre.

Si Régis Guyotat se refuse à chiffrer l’immigration, il est sûrement important de rappeler son ampleur à Orléans. Entre 1958 et 1976, deux millions d’étrangers sont entrés en France. Dans le Loiret, ils sont estimés entre 20.000 à 30.000. En écartant les statistiques, le journaliste souhaite parler des immigrés et non de l’immigration.

« Si c’était à refaire, je ne le referais pas », a déclaré Rrachdi qui était présent lors de la présentation. Un immigré orléanais dont on rencontre le trajet et la trajectoire dans le livre. Ce témoin historique est un ancien travailleur marocain venu en France en 1959. Il a été témoin de l’évolution de la politique française en matière de migration à Orléans. Lors de la présentation, il a pu prendre la parole aux côtés de Régis Guyotat, relatant sa vie dans l’ancienne entreprise Sifa technologies.

Témoignage de Rrachdi.

« L’immigration est un moyen de créer une détente sur le marché du travail et de résister à la pression sociale », disait Georges Pompidou en 1963. Cette déclaration est, pour Régis Guyotat, une bonne illustration de l’aspect utilitaire de l’immigration par la classe politicienne. Hier comme aujourd’hui, il n’est pas question de prendre en compte les considérations légitimes des travailleurs étrangers. Il s’agit bien d’instrumentaliser l’immigration selon les besoins économiques du pays. Cette considération à elle seule conditionne l’accueil qui est réservé aux immigrés.

Une illustration de ce que la professeure de sociologie à l’université de Paris, Sophie Bernard, qualifie de résultante du « capitalisme racial ».

Des conditions matérielles d’accueil indignes

L’indignité de l’accueil ne se limite pas aux modalités de recrutement. Elle continue aussi avec les logements. Le journaliste et Rrachdi reviennent sur les conditions de vie des immigrés dans la métropole orléanaise. Si La Source a un héritage culturel très riche, il est aussi celui d’une zone de parcage des travailleurs étrangers.

Les algecos (partie 1).
Les algecos (partie 2).

Les conditions de logement étaient tellement dégradées que des bidonvilles se sont formés, dans lesquels des familles françaises étaient installées. Cette situation a duré au-delà de la période des Trente Glorieuses. L’un des bidonvilles les plus connus était celui de l’île de Corse qui devait initialement répondre aux urgences de l’après-guerre.

Les bidonvilles orléanais.

L’action militante pour combler les lacunes de l’Etat

D’après les intervenants, les travailleurs étaient recrutés notamment pour l’absence de maîtrise de la langue française. Face à cette situation, des citoyens, essentiellement issus de la gauche, se sont réunis pour venir en soutien aux immigrés.

A Orléans, l’association Accueil et Promotion, et l’Association de soutien aux travailleurs immigrés (ASTI) se sont organisés afin de proposer des cours d’alphabétisation aux travailleurs, qui seront perçus comme une action militante. Ainsi, une trentaine de centres d’alphabétisation ont vu le jour dans le Loiret. Cette action était directement effectuée sur les lieux de travail.

Au début des années 1970, l’alphabétisation était le principal acte militant. Puis, la multiplication des lois – que Régis Guyotat qualifie « d’anti-immigration » – a poussé les associations à agir sur le terrain juridique. 

Les actions militantes.

Les attaques contre les immigrés et naissance du Front national

Si la répression des personnes migrantes n’est pas nouvelle, comme l’expliquait Régis Guyotat, les lois « anti-immigration » vont se multiplier durant les Trente Glorieuses. C’est durant cette période que va naître « la peur de l’expulsion ».

Ce terreau de rejet des immigrés va permettre de faire émerger l’incarnation politique des idées d’extrême droite, qui perdure encore aujourd’hui : le Front national. Ce dernier liste une série de lois autant répressives que contradictoires.

Les lois anti-immigration.

Et maintenant… ?

Durant les Trente Glorieuses, les personnes migrantes ont vu arriver en France des travailleurs. Aujourd’hui, le profil des populations a changé : demandeurs d’asile, regroupement familial, parents d’enfants français, personnes malades, etc. Il n’est désormais plus question des seuls travailleurs. Cantonner l’immigration d’aujourd’hui au travail, c’est en réalité une vision de l’immigration d’un autre temps.

Pour le reste, les discours anti-immigration perdurent et s’intensifient au travers de l’extrême droite. 

La réplique politique.

Références du livre : L’Homme au passe-montagne : Être immigré à Orléans durant les Trente Glorieuses, éditions Corsaire, collection Regain de lecture, 18 euros.

Steven Miredin

Trouvé sur le Bondy Blog Centre