La justice française s’est prononcée ce lundi 2 janvier 2023 pour un non-lieux concernant l’affaire du chlordécone. Un engrais interdit en France depuis 2020 pour ses effets nocifs pour la santé humaine mais que le Gouvernement a discrètement autorisé en Martinique et en Guadeloupe à titre dérogatoire. Une autorisation qui va à l’encontre de tous les rapports faisant état de sa dangerosité pour la santé. Ce non-lieu résonne pour une population contaminée à plus de 90% comme un déni de justice. Cet affront aux populations d’outre-mer n’est qu’une nouvelle illustration de l’instrumentalisation de la loi dans le but de sauvegarder les intérêts coloniaux. La justice pour la communauté Noire est marquée par une tendance à la récidive aux déformations et insultes. L’abolition de l’esclavage de 1848 en est un parfait exemple.
Le 27 avril 1848, la France proclame la fin de l’esclavage par un décret d’abolition de l’esclavage. Pour la énième et dernières fois, l’esclavage est aboli au sein du pays des droits de l’homme… De cette sombre période, on attend du peuple Noir qu’il remercie des hommes comme Schoelcher ou François Arago. Il doit remercier le gouvernement provisoire et tous ces hommes blancs qui ont conscientisé l’abolitionnisme et les valeurs humanistes portées depuis l’époque des Lumières par les grands pilleurs français. Ce discours tenu par les esclavagistes est-il celui que les esclavagisés doivent retenir ? L’abolition de l’esclavage est-elle l’apanage d’une réflexion européenne humaniste et bienveillante ?
L’année 1848 ne marque pas la fin de l’esclavage mais une étape dans la lutte contre l’exploitation de l’homme par l’homme.
Si la réponse est évidente, il faut avant cela penser l’avènement de ce décret d’application. L’afro-descendant.e ou l’allié.e ne doit pas envisager la date de 1848 comme la fin d’un régime coloniale et raciste. L’année 1848 n’est qu’une date dans la lutte contre l’oppression occidentale. Prendre conscience de l’Histoire Noir, c’est réaliser que 1848 n’est qu’une étape dans la résistance contre l’esclavage. L’abolition de l’esclavage renvoie à un concept occidental perçu comme un mouvement philosophique.
« toute vie [humaine] est une vie. […] une vie n’est pas plus ancienne, ni plus respectable qu’une autre vie »1.
L’abolitionnisme serait donc apparu à la fin du XVIIème siècle. Cette pensée est une négation catégorique de l’influence des phénomènes de résistance des esclaves. La lutte contre l’esclavage n’est pas un monopole blanc. En illustre le Manden Kalikan2 de 1222 lors de la proclamation de la Charte du Manden (actuel Mali), qui déjà était porteuse d’une volonté de résistance contre l’esclave. Le terme « abolition » renvoie à l’idée de d’achèvement, de fin d’une lutte. Une fin malgré laquelle on constate encore et toujours que notre monde baigne dans l’esclavage. La France, si elle ne le prévoit plus dans ses textes, notamment avec l’abrogation du Code Noir, continue d’appliquer ses dispositions de manière factuelle. Une myriade d’exemples peut être citée parmi lesquels se trouve le CFA, un symbole qui démontre toute l’hypocrisie de 1848.
Des avatars de la colonisation encore présents : l’exemple du franc CFA.
Le fait que le franc CFA soit administré par la France lui permet de garantir une parité fixe avec l’euro. Il faut savoir que la France imprime les billets et oblige les pays de la zone CFA à déposer la moitié de leurs réserves de change au Trésor français sur un compte. Ce compte est ensuite géré par la Banque de France. L’économiste togolais Kako Nabakpo parle de « servitude monétaire ». Le franc CFA demeure un des avatars de la colonisation française et, par ricochet, une monnaie gérée par la Banque de France qui favorise le statu quo et de facto pérennise les dictatures avec lesquelles la France n’a jamais coupé les liens… Et ces exemples sont nombreux :La Fifa, les békés,l’uranium ou encore « la crise migratoire » comme ils aiment l’appeler.
L’utilisation du terme « abolition » renvoie à cette volonté largement assumée de destruction de l’Histoire Noire.
L’idée est de déconstruire une culture, notre culture, notre réalité. Cela revient à ce processus de déshumanisation des peuples, de ceux qu’ils appellent les « étrangers ». Le complexe du Sauveur blanc et la volonté d’effacer leur responsabilité dans ces crimes contre l’humanité sont les fondements de leur abolition de l’esclavage. Elle méconnaît ainsi les raisons de l’esclavage, protège les personnes et institutions impliquées et enfin cache les bénéfices économiques retirés. En effet, le terme d’abolition est une négation du contexte économique au seul profit du rôle politique. Le choix de l’homme blanc n’était pas motivé par une pure réflexion humaniste mais davantage par un modèle économique.
La résistance à l’esclavage tend à valoriser une histoire Noire et rendre sa place véritable au décret de 1848.
« Les idées dominantes […] n’ont jamais été que les idées de la classe dominante »3. Selon la pensée marxiste, il ne faut pas s’attacher aux notions de justice ou de morale d’une époque qui ne sont que l’écho d’une pensée des dominants. L’afro-descendant doit alors construire sa propre pensée, sa propre notion de justice. Le combat contre la chlordécone doit s’inscrire dans ce processus de résistance contre la pensée coloniale. Le terme de résistance s’attache donc de façon plus concrète à la réalité historique. Elle s’attache à un processus initié dès le début, celui de destruction d’un modèle coloniale. La résistance dès ses débuts a pris des formes variées, qu’elle soit individuelle (suicide) ou qu’elle soit collective (marronnage). Le peuple Noir doit développer son propre vocabulaire pour évoquer son histoire et les idées des esclavagistes doivent être questionnées et recontextualisées.
Photo d’illustration: Anthologie Noire de Nancy Cunard
Steven Miredin
1 Extrait de l’article 1er de la Charte du Manden de 1222
2 La Charte du Manden Nouveau
3 Extrait du Manifeste du parti communiste, de Karl Marx et Friedrich Engels