« Les phénomènes migratoires sont une chance et non un problème » : la COLERE d’Orléans résonne à Nantes

Le ministre de l'Intérieur a relancé l'idée de la création d'un centre de rétention administrative à Nantes. Photo Steven Miredin
Le ministre de l'Intérieur a relancé l'idée de la création d'un centre de rétention administrative à Nantes. Photo Steven Miredin

Le 8 octobre 2023, le ministre de l’Intérieur avait annoncé l’objectif d’atteindre 3.000 places en centres de rétention administrative. C’est dans ce sens qu’un centre de rétention a ouvert à Olivet, en février 2024. Contre l’installation de cet établissement, le collectif COLERE s’était formé en 2021. Désormais, c’est à Nantes qu’un nouveau collectif portant le même nom s’est monté. L’objectif est d’empêcher la création d’un nouveau centre dans la ville nantaise.

Le Collectif contre les expulsions et la rétention (COLERE) d’Orléans a trouvé un écho jusque dans la ville de Nantes. Depuis le mois de février 2024, un autre groupe prenant le nom de COLERE 44 (Coordination opposée à l’enfermement et à la répression des personnes étrangères) s’est formé.

L’objectif de ce collectif est d’empêcher la création d’un centre de rétention administrative (CRA) au sein de la ville nantaise. Ce projet avait été annoncé par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin le 8 octobre 2023. Il annonçait le projet de créer un total de 3.000 places en CRA contre les 1.863 places existant aujourd’hui.

A l’image d’Orléans, le collectif multiplie les actions afin de faire entendre sa cause auprès des acteurs locaux. Une différence reste notable : c’est la réception du message par le public. Pour en parler, La Rédac Pop est partie à la rencontre de Maxime, un bénévole de la Cimade, membre du collectif COLERE.

Le projet de CRA nantais

Voilà plusieurs années que l’idée de la construction d’un CRA à Nantes est en discussion. Restée à l’état de projet – probablement en raison de l’aéroport Notre-Dame-des-Landes – le 8 octobre 2023, cette intention a de nouveau été évoquée par Gérald Darmanin. Celle-ci serait relancée pour cause d’un « apparent climat d’insécurité à Nantes ».

Cette remise en selle du projet s’inscrit dans un processus d’accélération de l’expulsion. Actuellement, il est prévu la construction d’un CRA de 140 places, faisant de ce dernier l‘un des plus grands de France hexagonale. D’après Maxime, la Ville de Nantes se refuse à fournir un terrain pour la construction de ce centre. Si les raisons ne sont pas formellement explicitées par les élus, Maxime suppose un refus politique.

A l’instar du CRA d’Olivet, le projet nantais s’inscrit dans l’objectif d’atteindre les 3.000 places en rétention. Le nombre de 140 places n’est pas choisie au hasard. La loi limite la taille des centres de rétention à cette capacité. Cette limite réduit la possibilité de gains d’échelle par rapport aux établissements pénitentiaires plus grands.

Le budget que nécessite la construction d’un tel établissement n’est pas précisé. Toutefois, le collectif anti-CRA de Béziers estime le financement alloué à la création d’un CRA de 140 places dans leur ville à 40 millions d’euros. 

Si d’autres sources laissaient penser que le centre pourrait être implanté près de l’aéroport, Maxime révèle que l’Etat envisagerait de construire le CRA près de la maison d’arrêt de la ville voisine. Le COLERE certifie que cette localisation permettrait au gouvernement de « renforcer l’amalgame entre immigration et délinquance ».

Le collectif pointe un autre problème : l’impact écologique d’un tel projet. L’implantation du nouveau centre implique un déboisement important contre lequel des associations écologistes se sont mobilisées.

Une colère qui remonte la Loire

La COLERE 44 est composée d’associations, de syndicats et d’autres collectifs pour s’opposer au projet. Des discussions étaient en cours depuis fin 2023 jusqu’à sa création officielle en février 2024. Aujourd’hui, le collectif comporte plus de vingt membres. 

A Nantes, il existe déjà un collectif anti-CRA, mais celui-ci est davantage composé de personnes que de groupes. La COLERE est née de la volonté de créer un collectif qui puisse accueillir des associations. Le nom est directement inspiré de celui du collectif orléanais. 

Depuis sa création, la coordination tente de rester très active dans le territoire nantais et les villes aux alentours. Cherchant à étendre son discours à la population, la coordination a multiplié les actions (réunion de présentation publique dans un café de Nantes ; exposition et interaction avec les passants ; table ronde avec des experts de la rétention). Maxime confirme que la rétention reste un « sujet très difficile à aborder avec les gens ».

« Certaines personnes avaient entendu parler de rétention sans savoir ce qu’il en était », continue Maxime. La rétention administrative reste un sujet peu connu du grand public. Pour preuve, il suffit d’en discuter avec les étudiants mitoyens du CRA d’Olivet pour s’en rendre compte.

Le message du collectif est clair : « Les phénomènes migratoires sont une chance et non un problème. » C’est dans le but de promouvoir ce message que le collectif a participé à des manifestations mensuelles du collectif anti-CRA.

Pour la période estivale, le collectif est en pause, mais reviendra à partir de septembre. Il sera par ailleurs un invité de la fête de l’écologie de Nantes qui s’organisera fin septembre.

Des « procédures hors-la-loi »

« Aujourd’hui, c’est l’expulsion, quand bien même des droits humains seraient bafoués », dénonce Maxime. Il met en avant le recul de l’intervention du juge dans le contrôle de la régularité de la mesure de rétention. « Plutôt que de questionner des procédures en dehors de la loi, on maintient ces procédures hors-la-loi, mais en reculant l’intervention du juge pour ne plus entraîner la libération du retenu », poursuit-il.

Et pour cause, depuis le 15 juillet 2024 et l’entrée en vigueur du décret d’application, la période de période de placement en rétention passe de 48 heures à quatre jours. En clair, durant quatre jours, l’étranger sera placé en CRA sans que le juge ne puisse veiller au respect des droits fondamentaux (droit à un médecin ou à une alimentation par exemple).

Le dernier rapport de la Cour des comptes, paru en janvier 2024, relève que l’irrégularité de la procédure de placement en rétention est l’une des principales causes de libération des étrangers. En retardant le contrôle du juge, le collectif craint la violation sur un temps plus long des droits des personnes retenues. D’après le rapport, entre 2018 et 2022, 58% des libérations de CRA avant éloignement ont résulté de décisions des juridictions judiciaires. Selon COLERE, il est évident que pour l’Etat « la personne est étrangère avant d’être une personne ».

Le durcissement de la politique en matière de CRA pose d’autres difficultés, également présentées par la Cour des comptes. En 2022, le taux d’éloignement des étrangers dépourvus de document d’identité et placés en CRA s’élevait à 27%. En somme, plus de 70% des personnes placées en CRA ressortaient après une période de rétention pouvant aller jusqu’à 90 jours.

La Cour des comptes relève aussi que le séjour complet d’une personne retenue coûte environ 16.200 euros au total dans l’Hexagone, pour vingt-sept jours de rétention en moyenne. L’obstination dans cette politique à l’efficacité toute relative correspond, pour la coordination, à « une politique des chiffres ».

Le CRA de Nantes devrait voir le jour d’ici la fin 2026 ou le début 2027. Pour le moment, seul l’appel d’offres de marché public a été mis en ligne. Mais le collectif garde l’espoir que les résultats des dernières élections permettent d’abandonner le projet.

Steven Miredin

Trouvé sur le Bondy Blog Centre