La rentrée des classes a sonné il y a un peu plus de trois semaines. Groupes de besoin, dédoublements de certaines classes dans les quartiers prioritaires, handicap, carte scolaire… La Rédac Pop a pris le temps de faire le point sur des questions avec le nouveau recteur de l’académie Orléans-Tours, deux enseignantes syndicalistes, ainsi que l’ancienne ministre de l’Education nationale en visite à Orléans.
Une nouvelle année scolaire a débuté pour les plus de 127.000 écoliers, collégiens et lycéens, ainsi que les près de 9.500 enseignants du Loiret.
Cette rentrée assez spéciale s’est tenue en pleine transition gouvernementale. Même si elle ne voulait rien dire à ce moment, la ministre de l’Education nationale Nicole Belloubet savait que ses jours au sein du gouvernement étaient comptés lorsqu’elle était passée à l’école Pauline-Kergomard d’Orléans-La Source, le 2 septembre dernier. Elle a effectivement été remplacée par Anne Genetet lors du remaniement annoncé ce samedi 21 septembre, autour du Premier ministre Michel Barnier.
Une rentrée particulière pour des raisons politiciennes, mais aussi dans un contexte de mise en place de deux mesures qui ont fait parler : la « pause numérique » (ou le dépôt des téléphones portables à l’entrée des établissements scolaires) expérimentée dans certains établissements (avant une généralisation possible début 2025), et surtout la mise en place de « groupes de besoin » qui a ulcéré une partie du corps enseignant.
La Rédac Pop a fait le point sur cinq dossiers avec le recteur Jean-Philippe Agresti et l’ex-ministre Nicole Belloubet, ainsi que les enseignantes Lucile Dewatine et Sylvie Lesné. La première est professeure des écoles et co-secrétaire départementale SNUipp-FSU (premier degré), tandis que la seconde est professeure de français au lycée Pothier d’Orléans et secrétaire départementale du Snes-FSU (second degré).
Evidemment, les analyses divergent entre représentants de l’Etat et enseignantes syndicalistes.
1. Comment s’est déroulée la rentrée dans le Loiret ?
Au cours d’un déjeuner presse, le recteur avait indiqué, quelques jours avant la rentrée, que chaque classe aurait un enseignant et qu’il n’y avait « pas de tensions structurelles ». Il a toutefois pondéré en reconnaissant que quelques difficultés pouvaient exister dans l’enseignement secondaire : le français, l’anglais et « quelques disciplines de niche en formation professionnelle ».
Mais rien d’alarmant, selon le haut fonctionnaire, qui indiquait d’ailleurs être « particulièrement attentif à constituer un vivier de contractuels ». Il a précisé que ce recours aux enseignants non-fonctionnaires dans l’académie est de 1% pour le premier degré et de 8% pour le second degré en début d’année scolaire.
Lucile Dewatine porte un autre regard sur la situation. « Le problème est structurel, contredit-elle. A partir du moment où on est obligé d’utiliser des moyens de remplacement dès la rentrée pour faire en sorte d’essayer d’avoir un enseignant devant chaque classe, ça veut dire qu’il y a un problème de recrutement qui est structurel. »
La professeure des écoles souligne la « tendance globale » des concours qui « ne font pas le plein », même si dans l’académie Orléans-Tours, tous les postes du premier degré semblent avoir trouvé preneur. Elle insiste sur le recrutement de contractuels appelés sur les ouvertures de classes à la rentrée dans le cas du premier degré. Une méthode qui poserait problème dans les zones rurales du Loiret, à l’image de l’est et du Montargois. « Les contractuels peuvent refuser des postes, rappelle-t-elle. Ils ne sont pas comme des fonctionnaires qui sont affectés à un endroit. L’administration doit donc trouver des postes où les contractuels acceptent d’être. »
2. Les « groupes de besoin » divisent
Dans l’enseignement secondaire, la mise en place des groupes de besoin (auparavant appelés « groupes de niveaux ») pour les enseignements de français et de mathématiques suscite l’interrogation. Si les élèves restent en classe entière sur le reste des enseignements, soit les deux tiers du temps scolaire, ces derniers doivent dorénavant être répartis « en groupes communs à plusieurs classes, sur la totalité de l’horaire hebdomadaire » de français et de maths, selon le site du ministère de l’Education nationale. « Pour l’ensemble des groupes, ajoute l’institution, les programmes et les attendus de fin d’année sont identiques. »
La mesure hérisse le poil de nombreux enseignants qui craignent que la formation de ces groupes accentue les inégalités sociales en mettant les élèves les plus performants ensemble et les moins performants entre eux. Une peur que partage Sylvie Lesné, qui préfère « la logique du tous ensemble » pour que « chacun trouve sa place, à l’image de la société. On a des talents, des capacités de progrès et avec ça, on peut avancer ensemble et faire une société ».
La professeure de français le martèle : « La priorité, c’est le nombre d’élèves, pas leur niveau », estimant que « l’élève ne peut progresser que s’il se sent pris en compte dans sa totalité d’être humain. Pour ça, ils doivent être en nombre raisonnable et il faut être capable de se consacrer à un gamin quand on le sent en difficulté. La classe doit apprendre que chacun a son rythme d’apprentissage et qu’on n’a pas à être au même niveau au même moment. »
La syndicaliste estime que l’Education nationale est « à rebours » de cette logique, avec « une recherche permanente du chiffre ». « On nous met régulièrement, à chaque pré-rentrée, devant des tableaux comme si on était une entreprise, poursuit-elle. C’est intéressant d’avoir des indicateurs, mais on voit que ça devient l’alpha et l’omega. » L’évaluation a, selon elle, « pris trop de place et n’est pas un but. Elle est peut-être juste un moyen de montrer à l’élève où il en est. Là, on est dans une école qui classe et qui enferme les élèves dans une case. »
Le recteur explique que la mise en place de ce dispositif se fait dans l’académie Orléans-Tours « avec une grande latitude laissée par les textes » aux collèges, « en fonction de leurs besoins ». Jean-Philippe Agresti veut « absolument réduire l’écart sur les savoirs fondamentaux ».
Le haut-fonctionnaire entend les critiques et « comprend les réticences ». Mais il estime que « si on ne fait rien, si on ne tente pas quelque chose, les inégalités vont continuer à se creuser. Et en termes d’égalité des chances, je pense qu’on ne remplira pas les objectifs que chacun est en droit d’attendre de nous. Il faut agir sur les savoirs fondamentaux ! » Il appelle ainsi à la patience : « Laissons cette réforme s’installer et on en tirera le bilan. »
3. Les dédoublements de classes fonctionnent-ils ?
En visite à l’école Kergomard au cours de la rentrée, Nicole Belloubet a mis en avant les dédoublements de classes de grande section dans cette école. Une mesure mise en place à partir de 2021 pour les établissements des réseaux d’éducation prioritaire (REP et REP+) et suivant celle instaurée pour les classes de CP et CE1 en 2017. « Pouvoir travailler avec les élèves dans des petits groupes, cela permet de lutter contre les assignations sociales, contre les risques d’échec scolaire », soutenait-elle.
Ce dédoublement sera effectué « à 100% pour cette année », selon l’ancienne ministre, qui assure que ce travail « produit des résultats » pour les élèves. Elle s’appuyait sur les évaluations nationales des sixièmes qui se sont tenues l’an dernier. « C’est la première fois que nous avons pu avoir une cohorte complète d’élèves qui avaient pu bénéficier de ces dédoublements des classes, indiquait-elle. On le voit, les résultats sont meilleurs. »
« C’est une très belle communication, mais sur le terrain, il n’y a jamais eu d’étude réelle sur l’effet de ces dédoublements », regrette pour sa part Lucile Dewatine. L’enseignante souligne d’abord que dans la carte scolaire, « ces dédoublements nous ont été vendus sur des effectifs à douze élèves, alors qu’ils sont passés à quinze, voire à seize ou dix-sept en cours d’année ».
Elle met aussi et surtout le doigt sur une conséquence directe de ces dédoublements de classes : la disparition des enseignants maîtres supplémentaires, dont le rôle était d’intervenir sur des compétences précises décidées avec l’équipe de l’établissement dans le cadre de petits groupes d’élèves. « Ces postes ont été supprimés, sans jamais avoir demandé l’avis des collègues », note-t-elle.
4. Une école vraiment inclusive ?
Interrogé sur l’inclusion des élèves en situation de handicap, Jean-Philippe Agresti a d’abord rappelé « un symbole fort » : plus de 6.000 élèves de l’académie se sont rendus aux Jeux olympiques et paralympiques.
Pour ce qui est des considérations plus concrètes et pragmatiques, le recteur assurait avant la rentrée que ses services travailleraient à « la résolution de tous les besoins en accompagnement dans l’académie ». Besoins qui étaient « pourvus dans la plus grande majorité des cas » avant la rentrée, selon lui, avec un système d’accompagnantes d’élèves en situation de handicap (AESH) « adapté aux besoins ». Le représentant du ministère précisait qu’un ou une élève en situation de handicap lourd peut être suivi par une AESH individualisée et que pour d’autres cas, « ce sont quelques heures dans la semaine ».
Ce constat laisse Lucile Dewatine très perplexe. « Je ne vois pas comment il va faire, sauf si le gouvernement nous cache une revalorisation des AESH avec un statut de fonctionnaire, ironise-t-elle. En réalité, chaque année, il y a des élèves en situation de handicap qui sont notifiés avec des heures qui ne sont pas pourvues. »
Le « métier précaire » d’AESH, « avec des contrats à temps partiel payés au SMIC, n’attire pas, alors qu’il y a des personnes qui souhaiteraient s’engager auprès des enfants pour les accompagner dans leur scolarité, regrette-t-elle. Le salaire n’est pas du tout à la hauteur. Quand on fait de l’inclusion une priorité, la moindre des choses, c’est de payer correctement les gens. »
5. Comment évolue la carte scolaire dans l’académie ?
Les chiffres pour le département sont loin d’être réjouissants. Le recteur indique « une baisse structurelle du nombre d’élèves dans notre académie, dans le premier degré particulièrement, mais aussi dans le second ».
Dans le primaire, cette diminution était estimée à près de 840 élèves. En conséquence, de nombreuses fermetures de classes ont été programmées lors du plan arrêté en mars 2024. Il prévoyait 84 fermetures de classes, 36 ouvertures de classes, deux fusions d’écoles et deux fermetures d’écoles, selon le SNUipp-FSU. Les fermetures de l‘école du Berry, à Gien, et de celle de Yèvre-la-Ville, témoignent en particulier des fortes tensions démographiques dans l’est du Loiret, qui perd des habitants, année après année.
Un réajustement s’est opéré à la rentrée sous l’égide du comité social d’administration départemental, avec dix-sept classes supplémentaires ouvertes et deux fermetures de plus. Mais la balance reste largement déséquilibrée (environ trente-quatre classes en moins). « Il peut y avoir des points de tension sur la carte scolaire, mais globalement, nous sommes dans une région académique apaisée sur ces questions », pondérait Jean-Philippe Agresti.
Sylvie Lesné comprend les tensions et les déséquilibres démographiques du Loiret, mais veut porter « une tout autre vision de l’école et des services publics ». La carte scolaire devrait être envisagée, selon elle, « comme une façon de ne jamais fermer de classe, mais de mieux répartir les élèves, alléger ou lisser les effectifs », pour ne jamais dépasser les vingt-cinq, voire vingt élèves.
« Soit on maintient des classes et on fait venir des enfants pour qu’ils se retrouvent à moins de vingt par classe, ou on réimplante les postes supprimés dans d’autres écoles où il y a une saturation en nombre d’élèves. Il faut essayer d’agir sur le problème numéro 1 qui est la surpopulation par classe. »
Toujours est-il que le travail sur la prochaine carte scolaire est d’ores et déjà enclenché, selon Jean-Philippe Agresti. « Des points pourront se révéler et des discussions avec des élus locaux pourront avoir lieu. » On imagine déjà la fébrilité de certains d’entre eux.
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Notre émission est à retrouver ci-dessous
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Thomas Derais