Troisième rencontre de la francophonie : des voix d’Orléans au service du progrès et du développement durable

Comme chaque année depuis 2016, la ville d’Orléans organise les rencontres de la Francophonie et invite à cette occasion plus d’une quarantaine d’invités, intellectuels et scientifiques partageant les mêmes valeurs héritées des Lumières. Cette 3ème édition organisée du 5 au 7 avril 2018 s’est ouverte sur le thème du Progrès.

Le concept de Progrès, un changement de perception au XXI siècle…

Jusqu’au début du XX siècle, le concept de Progrès associait la science comme un bienfait général. Pourtant, les souvenirs de conflits récents ont prouvé que les avancées scientifiques pouvaient aussi représenter un danger pour l’Humanité. L’accélération et les mutations de nos sociétés actuelles poussent régulièrement nos industries à devoir sans cesse développer de nouveaux services et technologies pour répondre aux nouveaux besoins de consommation des populations. Si ces avancées semblent d’abord participer à l’amélioration de nos conditions de vie, elles ne sont pas sans risques pour l’environnement. Exploitation sans limite des sols, épuisement des ressources naturelles, surproduction de déchets, réchauffement climatique, de nombreux phénomènes confirment les risques écologiques liés au progrès technologique.

Parmi les interventions des Voix D’Orléans, la rencontre du vendredi 5 avril de 17h étudiait notamment les composantes techniques et technologiques du progrès et leur impact au niveau environnemental. Cette intervention animée par Pierre Edouard Deldique, journaliste à RFI accompagné de ses invités, Thierry Dudok de Wit, professeur à l’université d’Orléans, chercheur au sein du Laboratoire de Physique et Chimie de l’Environnement et de l’Espace (LPC2E) et Juliette Grange, agrégée et professeur de philosophie à l’Université de Tours souhaitait mettre l’accent sur l’importance de la responsabilité humaine dans la course au progrès.

De la course à l’innovation à une nécessité de compréhension et de maîtrise de l’évolution

Entre l’augmentation de l’espérance de vie, l’amélioration des services de santé, du confort moderne et de l’autre côté, une augmentation de la capacité de destruction massive, des problèmes récurrents de pollution, de changements climatique, il devient difficile de déterminer si le progrès sert aujourd’hui l’humanité ou la condamne. Le danger vient il d’une mauvaise utilisation du progrès ou celui ci peut il profiter à tous sans gaspillage à outrance des ressources naturelles  ?

La course à l’innovation pousse en effet les États et les populations à tenter de rester à la pointe du développement par le biais d’activités menaçant souvent à long terme la sauvegarde de l’environnement. Comme le déclare, Thierry Dukok de Wit, on peut raisonnablement s’interroger sur « les raisons valables d’exercer une activité nuisant à l’environnement et donc compromettante sur le long terme l’avenir de l’humanité ».

Il faut donc distinguer deux types de progrès : le progrès dit « humain » qui implique une pratique maîtrisée de la nouvelle technologie et profite à tous et le progrès « scientifique » qui recherche en priorité une application matérielle sans recul ou analyse d’un point de vue éthique.

Chaque amélioration implique des avantages et des inconvénients . Il est donc toujours important de pouvoir faire la part des choses et de ne pas vouloir tout sacrifier au nom de la course au progrès technologique.

L’efficacité énergétique implique de savoir maîtriser au mieux les formes d’énergies existantes et d’investir en priorité sur celles dîtes renouvelables. Elle vise à apprendre une meilleure maîtrise des formes d’énergies existantes. Au Bénin, par exemple, des lampes torches rechargeables manuellement sont mis à disposition des élèves dans les écoles pour qu’ils puissent étudier et faire leur devoir.

Selon Juliette Grange, « l’homme ne doit pas succomber à la tentation dévoyée du progrès en finançant la recherche appliquée ». Les avancées technologiques doivent résulter de réelles recherches en vue de l’amélioration du bien commun des populations. Tout ressource ne devrait pas pouvoir être exploitée lorsqu’il s’agit d’un bien essentiel à l’humanité tel que l’eau ou l’air. Mais certaines multinationales comme Nestlé1 n’ont pas de scrupules vis-à-vis de l’eau considérée comme une marchandise. Pour d’autres populations, l’eau représente une question sanitaire et répond à un besoin essentiel.

Des avancées scientifiques plus respectueuses des ressources naturelles

Si l’on veut éviter des situations de crise environnementale, il faut apprendre à ôter des propriétés mercantiles à certains biens fondamentaux, insiste Juliette Grange. L’air fait partie des éléments essentiels à la vie humaine, tout comme l’eau, il est nécessaire qu’il reste sain, non vicié.

Le problème réside dans l’orientation des grandes thématiques de recherche axées en priorité sur la recherche de profits, de rentabilité en raison de financements extérieurs plutôt que dans un sens d’amélioration du progrès humain.

La question à soulever est de déterminer s’il est possible actuellement de pouvoir déconnecter la notion de progrès « technique » de l’industrie. Une innovation, une invention implique souvent par la suite un développement, une commercialisation et par la suite, une recherche de profits.

Le progrès doit servir l’humanité, pas l’asservir mais comment orienter la recherche de manière altruiste quand celle-ci dépend souvent de financements extérieurs privés. De même, concernant l’exploitation des ressources nécessaires à la fabrication de composants électroniques, la souveraineté des états pose question. Le problème technique menace dans certaines régions du monde comme en RDC, où l’exploitation minière2 provoque la destruction de l’écosystème et également au Congo, où les forêts disparaissent en raison de l’exploitation industrielles de tourbières par des entreprises chinoises.

Pour une partie de l’humanité, cautionner l’exploitation des ressources naturelles va de pair avec des raisons idéologiques et d’état. Mettre la main sur des ressources clés, c’est rester performant dans la course à l’innovation. Pour Thierry Dudok de Wit, cette perception biaisée du caractère non inépuisable des ressources va de pair avec une vision à court terme, ou «de même qu’il reste difficile de se figurer la mort de nos proches, nous n’arrivons pas concevoir la fin possible de l’humanité ».

La nécessité d’une éducation et d’une responsabilisation collective à l’écologie

C’est le même raisonnement qu’adoptaient certains fonctionnaires nazis . Ce cas est particulièrement bien illustré par le procès Eichman. L’accusé invoque le fait que placé dans la simple position d’un exécutant, il n’avait pas de réelles possibilités de penser ou de responsabilité dans ses actions, la véritable responsabilité étant confiée seulement aux plus hauts fonctionnaires nazis disposant d’une « réelle » autorité, un moyen de se décharger d’une culpabilité individuelle au profit d’une culpabilité collective ou institutionnelle.

Malgré ces comportements, on voit pourtant apparaître de nombreux films traitant du thème de l’Apocalypse :  Le Jour d’Après, 2012, World War Z.

Même la Philosophie s’empare de plus en plus du thème de l’écologie mais dans des traitements plus classiques. L’Ethique à Nicomaque étudie les rapports entre culture et nature. De nouveaux courants naissent comme l’Ecosophie*, une philosophie de l’écologie qui distingue deux concepts d’écologie : Une écologie « raisonnée », plus tiède et moins engagée , optant pour des compromis avec la technologie par utilité ou facilité et la « Deep Écologie *» une écologie qui beaucoup plus militante propose une solution extrême de retour à la nature et aux renoncements à la Technologie. L’homme n’est plus perçu comme le centre du Monde mais comme une composante comme les autres espèces végétales ou animales. Ce mouvement invoque une nécessité de décroissance des populations et de l’utilisation des technologies mais cette solution paraît peu applicable dans un monde de plus en plus dépendant.

Face à ce constat, les solutions pour la maîtrise des technologies et leur utilisation sans danger à long terme pour notre monde semble passer par une responsabilisation collective. Les possibilités d’amélioration semblent passer par une meilleure éducation aux technologies, éviter les dépendances et les addictions, en faire une utilisation raisonnée quand cela est nécessaire mais pas de manière exponentielle.

Pour apprendre à éduquer les populations, cela pourrait passer par le questionnement des scientifiques, leur rôle, leur éthique et leur liberté dans la mise en œuvre du Progrès pour qu’il profite à l’Humanité de manière collective et les pousser à plus d’engagement politique pour qu’ils gagnent en indépendance dans leur recherches. Une sensibilisation qui passerait par la constitution de groupes de travail et de réflexion sur ces questions et des campagnes auprès du grand public.

La faible mobilisation actuelle a pourtant de quoi étonner quand on présente régulièrement les spectres de répercutions pour les populations : des films comme « Demain3 » de Cyril Dion montre que tout le monde est touché de près ou de loin par la dégradation de l’environnement. De la même manière, il reste difficile de déterminer les causes à effets dans la naissance et la propagation des maladies en dehors des cas comme Tchernobyl, les conséquences de la Pollution restent des phénomènes difficiles à évaluer.

La complexité des événements écologiques et leur variété rendent les causes trop difficiles à appréhender pour le simple citoyen. Dans les pays pauvres, les interrogations sur l’écologie, l’environnement passent pour un problème de riche quand la priorité s’oriente vers le développement économique. Chaque pays, continent aspire au même degré de développement, Asie, Amérique Latine mais il est facile d’imaginer les conséquences si chaque ville avait le même niveau de développement.

La nécessité de réfléchir à un nouveau modèle économique, nouveau modèle de consommation pour que le progrès participe au bien commun

La notion de progrès reste donc un concept difficile à appréhender de manière progressiste. Il est important de s’interroger sur les facteurs empêchant un progrès plus humaniste : contraintes de temps, problèmes de moyens. Il s’agit en priorité de décider quelles limites peut-on opposer pour ne pas participer à la surenchère technologique.

Renoncer de manière individuelle à l’utilisation de technologies, du progrès quand la société bouge et évolue très rapidement, revient à s’exclure et à s’isoler de la société. La solution semble peut être alors résider dans la réinvention de notre modèle économique. Un système qui pourrait s’affranchir de la mondialisation et d’une consommation à outrance, faisant davantage appel aux initiatives locales permettrait alors au citoyen d’échapper à des comportements conditionnés ou contrôlés.

La priorité par rapport au progrès doit porter aujourd’hui sur les moyens de réduire sa consommation et la facture énergétique et sur la nouvelle orientation du progrès à des fins plus collectives. L’exemple de la Permaculture montre que si ce procédé ne conduit pas à l’autosuffisance alimentaire, il présente le mérite d’allier bon sens et productivité technologique en associant des techniques anciennes et modernes.

La maîtrise du progrès de façon raisonnée n’implique donc pas nécessairement d’être en phase avec les dernières technologies mais peut trouver une issue dans l’amélioration des pratiques des consommateurs et une plus grande liberté des scientifiques dans la recherche.

Le progrès ne condamnera pas l’homme et le sauvera qu’à la condition d’une réelle implication des états dans des politiques profondes de développement durable et d’éducation des populations. Les instances d’observations telles que l’ONU, les ONG disposent de trop peu de pouvoir et d’influence pour agir notamment auprès de grandes puissances économiques comme la Chine ou les États-Unis concernés en priorité par la mise en place d’une politique de développement durable. Si même des ONG Internationale comme Greenpeace ne permettent pas à elles seules d’orienter les politiques des états vers une meilleure éthique environnementale et une limitation dans l’exploitation des ressources naturelles non renouvelables, cela pourrait peut être changer à travers la mise en place d’une police écologique et internationale, une Interpol de l’Environnement.

Olivier GARBAN

1Voir : https://www.acme-eau.org/Nestle-et-le-commerce-de-l-eau-en-bouteille_a451.html :Nestlé et le nouveau marché de l’or bleu

2Voir : http://www.rfi.fr/afrique/20180221-rdc-greenpeace-vente-concessions-forestieres-illegales-chine-environnement-moratoir : Greenpeace dénonce une violation du moratoire sur l’exploitation forestière.

3https://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/cop21-demain-un-film-pour-franchir-le-pas-du-changement_1715707.html

Trouvé sur La Rédac Pop, le média participatif et citoyen de Radio Campus Orléans