Je vous propose la suite (et fin) de ma sélection de bandes dessinées féministes. Nous rentrons cette semaine dans le vif du sujet pour parler culture pop, sexualité et actualités.
Blogs…
Je vais continuer avec le dessinateur Thomas Mathieu qui a publié en 2015 une bande dessinée appelé Projet Crocodile, aux éditions Le Lombard. Sous ce nom intrigant, se cache un vrai projet lancé par le dessinateur en 2013 : celui d’ouvrir un Tumblr http://projetcrocodiles.tumblr.com/ consacré aux harcèlements de rue, agressions sexuelles et viols subis par les femmes. Pour cela, il a recueilli des témoignages réels de femmes qui lui ont raconté leurs expériences. Il aborde des notions telles que le « slut-shaming »¹, le sexisme de tout les jours et évoque son privilège d’être un homme. Dans ses planches, les décors sont en noir et blanc, très réalistes, tout comme les femmes qu’il dessine. L’originalité de la bande-dessinée se tient dans la façon dont il illustre les hommes. Ces derniers sont représentés sous les traits de crocodiles verts, épousant le point de vue des femmes, qui peuvent les voir comme des prédateurs. Cet ouvrage questionne le rôle endossé par certains hommes, qui se voient, consciemment ou pas, comme des dominants et se passent du consentement des femmes. Regroupant plus d’une quarantaine d’histoires, Projet crocodile a été l’un des premiers ouvrages à traiter ouvertement du harcèlement de rue et se veut aussi bien à destination des femmes que des hommes.
¹Le slut-shaming, que l’on pourrait traduire par « stigmatisation des salopes », consiste à rabaisser ou culpabiliser une femme à cause de son comportement sexuel (pratiques, nombre de partenaires, vêtements « provocants »…).
Et pop culture…
Une bande dessinée rafraîchissante, amusante et intelligente maintenant, avec Commando Culotte, de l’autrice Mirion Malle. Paru en 2016 aux édition Ankama, ce livre sous titré « les dessous du genre et de la pop culture » découle lui aussi d’internet (http://www.mirionmalle.com/). Mirion Malle y décortique les fameuses idées reçues comme « les filles ne sont pas drôles », « les hommes ne peuvent pas être féministes » ou encore « les filles sont futiles ». Avec force démonstrations et arguments, elle démonte ces clichés sexistes et illustre combien la culture populaire nous influence. Armée d’une plume affûtée et d’un humour mordant, elle utilise dans ses exemples nombre de films, séries, romans et même bande-dessinées pour mettre en lumière l’omniprésence du patriarcat et de la culture viol (notion qu’elle explique très simplement). De « Game of Thrones » à « Love Actually », en passant par « Titeuf », Mirion Malle explique avec pédagogie la représentation de la domination masculine dans la pop culture.
Charge mentale, racisme politique et actualités…
Si vous êtes un adepte des réseaux-sociaux, vous avez forcément entendu parler d’Emma. Sa planche sur la charge mentale des femmes a été partagée des milliers de fois sur Facebook et les plus grands médias se sont alors penchés sur cette dessinatrice 2.0 et le concept qu’elle dénonçait. Féministe de la première heure, Emma a décidé d’utiliser la bande-dessinée pour véhiculer ses messages. Alors, avec « ses dessins moches », comme elle aime le dire, elle parle du féminisme en suivant l’actualité. Culture du viol, manspreading (http://www.lemonde.fr/big-browser/article/2017/07/06/comment-le-manspreading-est-devenu-un-objet-de-lutte-feministe_5156949_4832693.html), notion de consentement, male gaze (http://www.liberation.fr/debats/2017/10/29/verbaliser-le-harcelement-de-rue-pour-faire-place-aux-femmes_1606623), violence gynécologique… Beaucoup de sujets et de théories sont vulgarisés afin d’être compris par tous. Emma parle aussi de racisme et de politique, en assumant son parti-pris. Chacune de ses histoires est disponible gratuitement sur son blog (https://emmaclit.com/) mais si vous préférez tenir un vrai livre entre vos mains, elle a publié un recueil de son travail en deux tomes, appelés Un autre regard et publié par Massots édition. Je vous conseille de lire sa dernière planche, en réaction à la tribune publiée dans le Monde sur la liberté d’importuner, à laquelle elle répond en dessin. Utile et pertinent.
« Seule une vraie femme peut survivre à Bitch Planet »…
Vous êtes plus comics Marvel ou DC que bd de l’école franco-belge habituelle ? Alors Bitch Planet est fait pour vous ! Venu tout droit des États-Unis, ce comics de science-fiction aux allures de dystopie est un franc succès outre-Atlantique. Il faut dire qu’au pays de Wonder Woman, première héroïne de bande-dessinée au monde, les femmes fortes ont la côte. Créé par la scénariste Valentine de Landro et la dessinatrice Kelly Sue DeConnick, Bitch Planet raconte un monde dominé par les hommes et où les femmes qui refusent de se plier à leur volonté sont jugés « non-conforme » et envoyées dans un centre de rééducation. Cette prison pour femme, qui se tient en orbite au-dessus de la Terre, est un enfer surnommé « Bitch Planet ». Et comme le dit le slogan « seule une vraie femme peut survivre à Bitch Planet ». Avec ses héroïnes emblématiques aux ethnies variées, ce comics représente très bien le féminisme intersectionnel, qui prend en compte non seulement le problème du sexisme mais aussi celui du racisme. Bitch Planet est une série en cours dont les deux premiers tomes sont disponibles en France aux éditions Glénat Comics.
Parlons cru, parlons en bien…
Liv Stromquist est une autrice et dessinatrice suédoise et un jour, elle en a eu marre. Pourquoi était-elle embarrassée par son corps ? Et pourquoi toutes les femmes avaient-elles aussi honte de leur corps et de leur sexualité ? Pourquoi parler des règles était-il aussi tabou ? Quiconque s’intéresse au féminisme s’aperçoit rapidement que le corps des femmes est un terrain que les hommes ont longtemps considéré comme leur appartenant. Ils ont élaboré un grand nombre de théories à ce sujet, dépossédant ainsi les femmes. Qu’à cela ne tienne, Liv Stromquist a décidé de s’intéresser de près au corps de la femme, à son histoire culturelle à travers les âges et à sa représentation. L’Origine du monde, clin d’oeil au tableau de Courbet, est une bande dessinée en noir et blanc qui explore pourquoi et comment ce sentiment de honte s’est construit et qui sont les hommes (philosophes, scientifiques et psychanalystes) qui ont fait autant de dégâts. Publié chez Rackham, ce livre est le second de l’autrice, qui avait analysé le phénomène du mariage dans sa première bande-dessinée, Les Sentiments du prince Charles. Pleine d’ironie, Liv Stromquist n’a pas peur de mettre les pieds dans le plat et ne veut qu’une chose : qu’après avoir lu son livre, plus aucune femme n’ait honte de son corps.
Libres de choisir la sexualité qui leur convient…
Pour clore ce top 10, je vous présente une bande-dessinée toute récente, celle de la dessinatrice Diglee et de la réalisatrice et journaliste Ovidie. Libre ! Se veut, comme son sous-titre l’indique, un manifeste pour s’affranchir des diktats sexuels que nos sociétés imposent aux femmes. Pendant près de deux ans, Diglee et Ovidie ont travaillé sur cet ouvrage, afin que parler de sexe quand on est une femme ne soit plus un tabou. Afin que les femmes connaissent mieux leur corps et qu’elles prennent conscience qu’elles sont libres de choisir la sexualité qui leur convient. Car si aujourd’hui le sexe semble omniprésent dans notre société, cela veut-il dire que nous en parlons réellement mieux ? Sommes-nous vraiment si libérés que ça ?
Découpé en plusieurs chapitres, ce manifeste aborde les thèmes du poids des femmes, de la pornographie, des poils, de l’homosexualité ou encore des sextoys. Les textes d’Ovidie, sérieux et documentés sont complétés par les planches humoristiques de Diglee (http://diglee.com/), qui font mouche à chaque fois. Libre ! provoque une prise de conscience libératrice qui fait du bien. Indispensable.
Valentine Martin